1.- Jeu de Charlot et écriture filmique

a) La position personnelle de Chaplin

En premier lieu nous pourrions nous interroger pour savoir si la silhouette de Charlot est en soi un gag 78 , au sens d’objet de risée. On peut le penser si l’on songe à la façon dont il a conçu son costume. Il s’apparente à celui d’un clown, sans en avoir les attributs classiques, par les ruptures qu’il inscrit dans le choix des pièces qui le composent, par la manière négligée et voyante d’attacher les étoffes, par la disproportion criarde entre le melon trop petit et les immenses godillots. Mais aussi par la vision globale qu’il propose : un costume qui ne tombe jamais bien parce qu’il est toujours mal coupé par rapport au corps, jamais ajusté et tenant par miracle. La figure de Charlot est à elle seule une apparition comique mais que Chaplin lui-même définissait comme signifiante d’une certaine attitude vis à vis du monde qui l’entourait.

‘« Ce costume m’aide à exprimer ma conception de l’homme de la rue, de presque n’importe quel homme, de moi-même. Le melon trop petit est un effort pour paraître digne. La moustache est vanité. Le veston boutonné et étriqué, la canne et toutes ses manières, tendent à donner une impression de galanterie, de brio, d’effronterie. Il essaie de faire bravement face au monde, de bluffer, et il le sait. Il le sait tellement bien qu’il peut se moquer de lui-même et s’apitoyer un peu sur son sort. » 79

Au-delà de la signification que lui attribue Chaplin nous pensons que la défroque du tramp est un véritable signe comique dans la mesure où elle fonctionne comme l’inscription du personnage burlesque de Charlot. Elle le situe dans la lignée des grands clowns et des comiques. Pour le spectateur, Charlot, c’est d’abord son costume de pitre, existentiellement drôle, sociologiquement comique parce que participant de toutes les classes sociales sans être d’aucune. Le premier gag de Chaplin est d’abord de se déguiser en Charlot et le spectateur reliera très vite cette vision à la dimension comique des films. La pantomime ou le langage du corps développe ensuite un certain nombre de figures récurrentes qui fondent l’écriture burlesque chaplinienne.

Notes
78.

A. REY, Dictionnaire historique de la langue française: “ Gag, n. m. est emprunté (1922) à l’anglais gag mot ancien (1553) qui a au XIXème le sens d’ “histoire drôle” (1805), puis de “partie d’un dialogue improvisée par un acteur” et en anglo-américain d’ “objet de risée, de raillerie”(1840). Le sens cinématographique est né aux Etats-Unis vers 1920 où gag a la valeur générale de “remarque drôle”.

Gag désigne d’abord en français un effet comique visuel rapide (au cinéma, à la télévision) puis s’utilise dans d’autres domaines; il s’est répandu après 1945. par analogie il s’emploie pour une situation burlesque de la vie réelle.

79.

M. MARTIN, op. cit.