A Busy Day

A l’ouverture, un carton informatif qui situe le récit :

‘« Rassemblement pour voir le défilé et entendre l’orchestre. »’

Le montage des plans fixes alternés confirme cette annonce :

Plan 1 Madame Charlot dans la foule des spectateurs.
Plan 2 Les automobiles en course.
Plan 3 Retour sur Mme Charlot qui applaudit. Par les gestes de celle-ci et la proximité spatiale, le spectateur saisit que l’homme qui se tient à ses côtés est son mari. Mais il tient conversation à sa voisine et ne prête pas attention à Mme Charlot.
Plan 4 Le défilé de la fanfare.
Plan 5 Retour à Mme Charlot. Ses voisins se sont levés à son insu.
Plan 6 Une caméra fixe dans le champ ; un homme et une femme que le spectateur reconnaît traversent le champ et s’enfuient.
Plan 7 Raccord-regard de Mme Charlot qui renvoie au plan précédent. Elle a compris que son mari a filé. Grand énervement : amorce d’une course.
Plan 8 Raccord dans le mouvement par rapport au plan 7. Elle fonce à la poursuite des fugueurs, fuse dans le champ identique à celui du plan 7, puis revient se planter devant la caméra fixe.

Là commence le numéro bagarreur de Mme Charlot avec des effets de plans alternés entre ceux de son mari et de son amante et ceux qui ont trait à elle-même. Aucun autre carton ne vient soutenir la narration qui se tisse à partir de cette alternance. Contrairement à ce que disait J. Mitry 84 :

« (Ce petit sketch comique)... aurait pu être joué sur une scène. Chaplin mal dégagé encore des influences théâtrales(...). »

nous soutenons que Chaplin a saisi déjà, dans ce film de mai 1914, les ressources que lui offrait le cinéma. En particulier le montage de plans tournés dans des espaces différents lui permet de rythmer et de dynamiser les bagarres, les raccords qu’il choisit sont souvent audacieux.

En outre, il bâtit la chute narrative sur un montage hardi qu’il avait annoncé par deux inserts diégétiques déplacés, les vues sur un plan d’eau où évoluaient des bateaux, sans que rien à ce moment-là ne les justifient. En fait ils étaient proleptiques de la séquence finale au bord de l’eau qui met un point d’orgue inattendu à la narration.

Plan 1 De la séquence finale : Mme Charlot furieuse entre brutalement dans le champ en s’interposant entre le mari et l’amante contemplant le lac. Elle violente la femme, son mari intervient brutalement.
Plan 2 Plan d’ensemble avec contre-plongée où le spectateur découvre, à sa plus grande surprise le lac surplombé par des gradins installés sur un ponton en bois. Tout en haut les protagonistes continuent leur rixe.
Plan 3 Plan américain de ceux-ci.
Plan 4 Identique au plan 2, mais Mme Charlot projetée vigoureusement dans l’eau par son mari. Spectaculaire saut périlleux arrière
Plan 5 Avec un imperceptible temps de retard, la caméra opère un léger panoramique vertical pour suivre la chute de Mme Charlot.
Plan 6 Plan américain sur l’amante et le mari médusés.
Plan 7 Caméra subjective à partir de ceux-ci et effet de plongée sur l’eau où le personnage se noie. Gros plan sur le visage qui est englouti et fermeture à l’iris.

La clausule narrative tire sa force et son originalité de la combinaison serrée et rapide de sept plans usant de techniques cinématographiques qui sont, au sens propre, spectaculaires. En outre la narration ne fait jamais l’économie du personnage de Charlot qui apparaît quasiment toujours comme le pivot de la diégèse. Ce constat s’applique à la quasi totalité des productions chapliniennes et l’on pourrait compter le nombre de photogrammes où Charlot n’apparaît pas.

Notes
84.

J. MITRY, Image et son, numéro 100, mars 1957, p. 8