Modern Times :

A la sortie des engrenages de la machine, Charlot renaît à la vie et exécute un ballet fantaisiste et endiablé grâce à un changement musical notoire. Chaplin passe du registre grave à une musique légère saluée de pépiements d’oiseaux. La musique de couleur classique savamment orchestrée à partir d’instruments à vents et à cordes ponctue les gestes syncopés de Charlot serrant de manière loufoque et échevelée les écrous sur la chaîne mais aussi le nez de ses collègues. Les notes aiguës et détachées soulignent la chorégraphie aérienne de Charlot. Des instruments à vent détachent de manière tranchée les moments où il s’apprête à poursuivre les femmes, attiré par leurs boutons de vêtements en forme d’écrous. La première poursuite se fait sur le tempo d’une valse légère qui met en relief les intentions de séducteur de Charlot mais qui vient en contrepoint de la frayeur de la jeune femme. En revanche, la deuxième poursuite se fait sur le mode du fox-trott endiablé et en accélérant le mouvement rend compte du comique de situation. Charlot est à ce moment-là dans la lignée des comédies sennettiennes.

Sur la musique de “Je cherche après Titine” écrite par Bertali, Maubon et Daniderff, Charlot pour la première fois fait entendre sa voix. Il chante dans un sabir hilarant en élaborant une pantomime parfaitement synchrone, réglée minutieusement sur le rythme de la musique. En outre Chaplin associe astucieusement, comme il l’avait déjà tenté dans City Lights (scène également de cabaret, ce qui facilite la technique d’insertion) la présence de l’orchestre dans l’image, source du son, comme au temps du muet et la réelle production du son sur la bande sonore. Cette fois-ci la musique peut être considérée comme intradiégétique. Le mime tire ainsi des effets plus drôles de la combinaison astucieuse de l’image et du son et s’en trouve grandit. « La musique est alors consubstantielle à l’image”, comme le suggère F. Bordat. je dirais même qu’ici elle est “consubstantielle” à Charlot lui-même.