The Great Dictator

Deux séquences conçues consécutivement par Chaplin : Celle de Hynkel dans son palais ; Celle du barbier dans sa boutique.

La mégalomanie d’Hynkel dans son palais dansant et jonglant avec la mappemonde est mise en relief par la musique solennelle et lente du Prélude de Lohengrin de Wagner. Les mouvements lents suivent l’envolée légère de la sphère et les mouvements graciles et délicats de Charlot-Hynkel. L’arrêt de la musique détache le travelling avant sur le dictateur filmé alors en plan taille. Au moment où la caméra se fixe, le son prend le relais : un coup sec et puissant est synchrone de l’éclatement de la mappemonde. Hynkel désespéré s’effondre sur son bureau.

C’est une voix qui fait la transition entre le palais et la boutique du barbier accompagnée d’un fondu-enchaîné puis d’un panoramique et d’un travelling avant jusqu’à l’intérieur du salon de coiffure, mouvements d’appareil qui s’achèvent sur un gros plan sur un poste de radio : « Et voici notre heure musicale. Travaillez dans la joie et sur le rythme de la musique. Notre sélection d’aujourd’hui, la Danse hongroise numéro 5 de Brahms. » La musique elle-même est montée progressivement sur le texte dit. Or, Charlot-Barbier va appliquer à la lettre ce que suggère la voix. Il règle parfaitement sa pantomime pour raser son client sur les variations de rythme de la danse de Brahms. On assiste à une véritable chorégraphie du corps du barbier rigoureusement orchestrée et du même coup drôle. Le finale est identique dans sa composition à celui de la séquence du palais. Un arrêt brusque de la musique, la voix seule du Barbier réclamant l’argent à son client et le bruit sec et caractéristique du tiroir-caisse.

Chaplin en enchaînant ces deux séquences sur le mode musical tout en travaillant le contrepoint réalise une fresque magistrale à plusieurs titres. Dans les deux cas il révèle la qualité technique du mime Charlot, ce qui sous-entend que pour son premier film parlant, Chaplin se refuse à nier ce qui a fait la gloire de son personnage et le succès de ses films du temps du muet. Il montre également la grande plasticité de Charlot capable d’occuper n’importe quel degré de la condition humaine. Enfin, il démontre à l’image que la sonorisation loin de détruire son personnage le magnifie dans ses rôles de composition.