DEUXIEME PARTIE. L’HYPOTHESE : LE TRAUMATISME DU PARLANT POUR CHAPLIN

Quand en 1914, à la Keystone, Chaplin crée le personnage de Charlot, la technique n’en est qu’à son enfance, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire une technique qui ne parle pas. Elle n’est donc pas embarrassée à l’origine du langage puisque la langue ou le travail sur la langue ne la concerne pas. Nous saisissons plutôt une technique dans son propre langage originel, dans un balbutiement qui se veut articulation d’un nouveau type de communication et de représentation du monde.

Pendant treize ans, ce qui équivaut à la réalisation de soixante douze films, Charlot est au coeur de l’écriture cinématographique de Chaplin. Il est lui-même “infans”, contraint à la pantomime mais à une pantomime qu’il rend si éloquente qu’elle figure toutes les variations de l’âme humaine et les idéaux les plus élevés. Ce tramp sans voix, déclassé, ne manque pas d’avoir le verbe haut et de donner au cinéma burlesque américain un nouveau Verbe. Or, Charlot tire sa puissance filmique de l’impuissance technique à reproduire la parole.

‘« Comme étaient merveilleux et stupéfiants les progrès du cinéma, de la distraction humoristique de foire et d’exposition primitive de “tableaux” vivants jusqu’à la forme artistique parfaite qu’était le cinéma muet.
Son principe et son but étaient : remplacer la parole et le son par le mouvement et la mimique.. » 90 ’ ‘« L’art de la pantomime a atteint sa plus haute perfection dans le cinéma muet. A cela ont contribué les possibilités mêmes du cinéma, qui permettait de suivre avec la plus grande attention sur l’écran le jeu scénique de l’acteur. » 91

En 1927, quoi de plus angoissant alors que la venue de ce “Chanteur de jazz” qui inaugure le cinéma parlant !

Il semble bien que cette révolution technique ait été ressentie par Chaplin comme un véritable traumatisme et qu’il ait, à cette époque-là, redouté une fragilisation de son personnage et une réelle menace pour son écriture cinématographique. Ce qui l’a conduit à des déclarations fracassantes contre les “talkies”. Nous partirons de cette hypothèse pour montrer que Chaplin, prenant conscience que l’unité de Charlot commence à être menacée, poursuit plus activement que jamais ses recherches en matière d’écriture cinématographique

Notes
90.

Article paru dans VARIETY en septembre 1935.

91.

Article paru dans WINDSOR MAGAZINE (Londres) en septembre 1935.