a) Le comportement de Charlot dans la relation amoureuse

Aussi loin que l’on remonte dans les courts métrages de la période dite muette, Charlot construit ses idylles soit sur le mode du coup de foudre, soit sur celui de la relation sentimentale. Il est amoureux : sa fraîcheur, sa spontanéité voire sa grâce nourrissent une pantomime qui se veut expressive de l’amour tendre et émouvant. En général, l’amour le transforme et lui donne des ailes. Pour la femme qu’il aime il se surpasse et sa générosité n’a pas d’égale. La rencontre avec l’âme sœur est souvent un moteur de l’action dramatique dans la mesure où Charlot s’en fait le défenseur ou le protecteur face à des rivaux peu scrupuleux et discourtois.

Est-ce à dire pour autant qu’il ne tient jamais le rôle de séducteur ?

Non, à maintes reprises Charlot éprouve son charme sur les jeunes femmes qu’il croise mais le plus souvent il en tombe amoureux et essaie de rivaliser avec les autres prétendants. Sa douceur, sa gentillesse et sa grande naïveté lui valent les faveurs des jolies femmes. Chaplin développe des scénarios romantiques voire romanesques qui mettent en valeur l’idylle si passagère soit - elle. Une fois pourtant, Charlot joue un rôle de Don Juan peu sympathique pour combler les désirs d’une maîtresse exigeante. Il s’agit de Tillie’s Punctured Romance(14. 11. 1915) où il séduit pour son argent une paysanne peu éveillée aux choses de la vie. Dans ce cas précis, Charlot est finalement conduit en prison tandis que les deux femmes, Tillie et Mabel se consolent mutuellement. Y compris dans cette exception, on peut souvent remarquer que Charlot est un amoureux éconduit.

En effet, il fait souvent les frais d’une histoire qui avorte, soit parce que la jeune fille finit par retourner à ses premières amours, soit parce qu’elle en aime un autre, soit parce qu’elle n’est qu’une apparition dans sa vie de tramp. Ainsi en est-il, par exemple de Caught in a Cabaret, In The park, The Vagabond, The Count, Sunnyside, The Iddle Class, The Gold Rush, The Circus, City Lights. Charlot est alors présenté comme celui qui souffre de ces amours impossibles et c’est souvent sa générosité et sa fragilité qui sont mises en avant. Comme dans la scène douloureuse où il confie la jeune écuyère dont il est épris au funambule dans The Circus, abandonnant son propre bonheur au profit du leur, de celle on ne peut plus poignante de la fin de City Lights, où le dernier “close up ” s’attarde sur le drame intérieur de Charlot privé de son amour.

Dans la réalité du tramp, la rencontre amoureuse est le fruit du hasard et les amours qui se tissent entrevoient le couple heureux comme un rêve. Charlot reprend la route seul. Pourtant, dès 1917, des films inscrivent surtout dans leur fin une nouvelle orientation : Charlot laisse à voir la perspective d’une vie à deux. C’est le cas de The Immigrant, A Dog’s Life, Modern Times mais ils restent des exceptions et ne développent pas la thématique du couple. Et c’est précisément dans le dernier film cité où le persona de Charlot s’affaiblit considérablement que la vision du couple uni s’en allant au loin sur la route nous apparaît le plus clairement. Le tramp, lui, se définissait par la solitude et l’amour n’était qu’une aventure parmi d’autres, vécue de manière spontanée : Charlot aimait dans l’instant et se laissait porter par les circonstances. Or, Verdoux est aux antipodes de cette attitude et élabore minutieusement son programme de séducteur.