a) L’étranger

Comme en 1923, A Woman of Paris , faisait l’économie du persona de Charlot et se passait à Paris, Monsieur Verdoux, en 1947 se situe en France et se dispense de Charlot. On se souvient que le premier film cité était pour Chaplin l’occasion de montrer au monde du cinéma, à Hollywood son talent de cinéaste en dehors de la prégnance de Charlot. En 1947, il s’agit de dire plus et sans doute de décliner la notion d’étrangeté autrement. Devenir volontairement étranger à Charlot dans cette réalisation, c’est définitivement mythifier celui-ci en héros du muet. Il sera ainsi l’incarnation mouvante des premiers temps du cinématographe. Son persona ne sera jamais spolié par la parole.

Choisir Verdoux c’est revendiquer ce qui est étranger à l’univers habituel que Chaplin compose. L’histoire se situe dans la France des années trente et échappe ainsi à l’univers hollywoodien, le Paris de l’avant-guerre est reconstitué et Chaplin prend comme assistant un Français, Robert Florey. Verdoux est lui-même Français, s’inspire de la figure de Landru et accomplit le personnage de séducteur qu’était déjà Pierre Revel en 1923. Mais ce qui est encore plus étrange pour le spectateur c’est cette voix venue d’outre-tombe après un si long silence et qui s’empare de l’écran. Chaplin déroute conjointement l’œil et l’oreille. A double titre donc, la langue s’expatrie comme pour mieux signifier une renaissance. Se déraciner invite le spectateur à accepter l’invention d’une vie insolite. Le nouveau persona a une histoire aux antipodes de celles de Charlot, il est doué de parole et son art désormais se fondera sur cette combinatoire subtile entre le jeu de l’acteur et le langage.