CHAPITRE XIII. Qu’en est-il de l’écriture cinématographique de Chaplin au bout du cheminement ? A-t-il finalement fait l’économie de Charlot ?

Dans Limelight le clown Calvero expliquait ceci à la jeune ballerine Terry : « Pour mes dernières années, je veux la vérité. » Nous pouvions donc légitimement croire, comme l’ont écrit certains critiques que ce “film testamentaire” serait le dernier de Chaplin. D’autant que la mort exemplaire du clown, apothéose cinématographique, laissait à penser qu’il avait enfin trouvé cette sagesse et cette sérénité auxquelles il aspirait puisque ce film témoigne de la maîtrise de son art et d’une réflexion sur cinquante ans de sa vie d’artiste. Mais en 1957, c’est-à-dire cinq ans plus tard, désormais loin des studios américains et exilé des Etats-Unis depuis 1952, Chaplin réalise A King in New York . Retour aux sources du cinéma, besoin de prouver encore quelque chose à soixante huit ans ou fringale de création ? S’il est vrai qu’il n’a jamais cessé son activité (rédaction de son autobiographie, travaux sur la musique de ses anciens films, doublage son de The Gold Rush) néanmoins depuis qu’il est installé dans le Manoir du Ban à Vevey, il a passé quelques années sans réaliser. Que penser de prime abord de cette nouvelle production effectuée en Europe ?

Le titre à lui seul est déjà polysémique.A “King”, Chaplin l’est au regard de sa popularité et de sa notoriété mondiales. Charlot est un personnage connu du monde entier et les films, y compris certains longs métrages sont prisés du grand public. Cependant il est loin de l’être “in New York” depuis ses démêlés avec les autorités américaines et sa fuite en Europe. Considéré comme “persona non grata” par les Etats-Unis, il fait preuve d’une certaine audace quelque peu provocante en titrant son film A King in New York. Quelles significations prend alors cette production qui imagine le retour de Chaplin / Shahdov en Amérique ? Et il faut encore attendre dix ans, l’année 1967, pour voir naître son ultime réalisation A Countess from Hong Kong . Ces deux derniers films de sa carrière posent la question de l’évolution finale de Chaplin et conduisent à la nécessité de comprendre non seulement leur articulation avec l’ensemble de ses recherches mais leurs rapports avec le cinéma de leur temps. Toutefois notre étude s’intéressera plus longuement au film A King in New York parce qu’à notre sens il est plus riche et plus problématique que A Countess from Hong Kong, ce que nous justifierons ultérieurement.