* La deuxième séquence

Nous pouvons dire qu’elle se déroule en deux temps.

Alors qu’il se tient dans sa salle de bains le roi est attiré par ce que nous appellerons le premier chant des sirènes. Une voix féminine l’attire vers une porte de séparation : il est encore tout émoustillé du spectacle qu’il vient de voir par effraction par le trou de la serrure de la porte de la salle de bains qui jouxte la sienne : une jolie jeune femme dans sa baignoire, qui grâce à un regard caméra le (nous) regarde. Un deuxième « chant »  :« help »tout aussi calculé que le premier (le spectateur est placé en position de regard omniscient lorsque la caméra placée à l’intérieur cadre la jeune fille dans son bain en gros plan et dévoile sa mise en scène) attire Shahdov à l’intérieur de la seconde salle de bains. Cette mise en scène est intéressante parce que Shahdov se laisse séduire par Ann Kay, accepte son rendez-vous et ignore qu’elle est une célèbre publicitaire qui travaille à la réalisation de spots télévisuels. En somme en toute innocence il signe un pacte avec la télévision, sous le charme magique des sirènes modernes.

  • Temps 2

De retour dans son propre espace au son d’une musique enjouée, Shahdov est envoûté par le deuxième chant des sirènes . Sur un écran de télévision, nanti d’un essuie-glace (Chaplin n’a pas perdu son sens du gag !) et placé face à la baignoire, apparaît, filmée plein cadre en plan buste, une jeune femme pimpante, à la voix suave et enjôleuse : « Hello ! chéri ». Un second plan l’inscrit dans la profondeur de champ et cadre Shahdov de dos, allongé dans son bain regardant l’écran. Le choix de placer la télévision à cet endroit insiste sur là son irruption dans les espaces les plus privés et intimes. Le texte du spot est d’autant plus fascinant qu’il se décline sur le mode du suspense et de l’ambiguïté. L’homme dans le bain est déjà nu et l’érotisme est latent : « Tu es nerveux, agacé, inquiet ? Déshabille-toi… Détends-toi. » Le contrechamp sur la tête du roi cadrée en gros plan dévoile qu’il n’est pas insensible à ce charme étrange. Mais Chaplin va jusqu’au bout du processus en montrant comment après avoir captivé son auditoire par des paroles sensuelles la télévision nous conduit à consommer la fin de la réclame. Le spectateur participe alors de la même fascination que le personnage et se laisse prendre au piège : « La bière Whitbread te rendra nerf et gaieté. N’oublie pas ! »Elle joint le geste à la parole et montre la bouteille de bière tout contre son visage : « Bière Whitbread. »

Chaplin a parfaitement saisi les enjeux de ce nouveau moyen d’expression audiovisuel et le traite sur le mode léger, à la manière presque d’un nouveau gag. Si Charlot fait sentir sa présence c’est sans doute dans ce nouveau rapport ludique au monde où il suffit que l’écran s’allume pour que la magie naisse.