* La troisième séquence : le rendez-vous chez Mme Cromwell

Au début de celle-ci Ann Kay explique aux autres invités comment elle a piégé le roi : « Je l’ai eu », « Il n’en sait rien. » Cette séquence est remarquable parce qu’elle met en évidence toutes les ressources que possède la télévision et les possibles qu’elle offre. Et l’intelligence de Chaplin cinéaste c’est de la placer au cœur de son écriture cinématographique comme tendance potentielle des réalisations futures. Et bien que nous analysions cet aspect dans la partie suivante, nous pouvons déjà faire remarquer que le personnage de Charlot revient en filigrane sous les traits de Shahdov - le roi déchu du cinéma sera sans doute une vedette de la télé - ainsi que Chaplin exploite cela même qui met en danger le cinéma mais qui est peut-être l’avenir des images.

A cet égard, on se souvient d’un des courts métrages de 1914 –Kid Auto Races at Venice - où Charlot se plantait devant la caméra et volait la vedette du spectacle en feignant de jouer sur son ignorance du dispositif mis en place pour filmer. Dans A King in New York Shahdov le personnage ignore la caméra cachée mais Chaplin affiche le dispositif pour le spectateur et jouera le roi avec cette conscience de l’objectif. D’abord, le plan d’ensemble de la salle à manger révèle derrière le miroir que la jeune femme ouvre, l’ombre projetée de l’appareil, puis un gros plan cadre de face la caméra de télévision à trois objectifs. Le dialogue entre Ann et le cadreur est significatif des écarts majeurs entre l’écriture cinématographique et l’écriture télévisuelle, ce que montrera la composition des plans de cette séquence.

‘« Quel est le programme ? demande le technicien.’ ‘- D’abord la publicité du déodorant, puis ça dépend du roi.’ ‘- Je vous donnerai le signal pour la pub. » ’

Non seulement le filmage se fera à l’insu des personnages, mais il n’y aura pas non plus de direction d’acteurs. L’improvisation sera la règle de cette soirée retransmise en direct. En somme entre l’émetteur et le récepteur, le temps de la mise en forme de l’œuvre est quasiment aboli. Essayons de voir comment Chaplin rend compte de cette nouvelle manière de procéder et les conséquences que cela induit sur son propre film.