* La cinquième séquence : la télévision permet une autre approche du réel que le cinéma.

Chaplin a également vu juste dans l’exploitation que l’on pouvait faire de ce moyen de capter et de diffuser les images. Analysons la séquence où Rupert, l’enfant rebelle et Shahdov jouent aux dames dans la suite à l’hôtel.

Un panoramique gauche/droite nous conduit de la table de jeu à l’écran de télévision de la pièce. Le présentateur est le même que celui présent dans la troisième séquence. La voix in , déjà connue puisque c’est elle qui donne les nouvelles, annonce :

‘« Nous vous présentons un reportage sur les travaux du comité des Activités anti-américaines depuis l’immeuble fédéral de New York .»’

Un fondu enchaîné nous transporte dans la salle où se tient ce comité. Les caméras de télévision (KXPA) sont partout et se déplacent constamment dans l’espace. Ce sont elles qui assurent la retransmission télé en direct. Ainsi Chaplin montre comment nous pouvons assister, comme si nous y étions aux interrogatoires de la Commission. Ainsi découvrons-nous pour la première fois M. et Mme Macabee, les parents de Rupert. Le plan qui isole M. Macabee le cadre en plan moyen (camera frontale) tandis que deux autres caméras l’encadrent. Ce dispositif enserre le personnage dans un prisme médiatique qui le soumet inexorablement au regard d’autrui et du même coup l’isole. Le contrechamp est très révélateur puisqu’il nous ramènent en montage cut sur les figures de Rupert et Shahdov qui se sont arrêtées de jouer et qui regardent intensément l’écran, surtout l’enfant cadré dans le plan suivant en gros plan. La retransmission instaure dans l’image un cruel face à face entre le père et le fils où chacun ignore l’autre. La télévision est alors un révélateur terrible puisque l’enfant en direct apprend la condamnation de son père. Chaplin met en évidence l’étonnant pouvoir de cette technique puisque, contrairement à un spectateur de cinéma, les conditions de réception se font dans la sphère privée et sur le mode de la confidence. La sensibilité de l’enfant ne résiste pas à une telle « manipulation » mentale.

Chaplin pointe également la facilité avec laquelle on sélectionne les informations et l’on prépare un scoop. Un deuxième fondu enchaîné nous situe dans le studio de télévision que nous connaissons déjà et nous montre les journalistes à l’œuvre alors que la pendule affiche cinq heures moins quelques minutes. Le soin qu’apporte Chaplin dans le montage de ces scènes est une façon de cerner au plus près les mécanismes nouveaux qui sont mis en place par la télévision pour défier les lois de l’espace et du temps.