* L’arrivée au palais

plan 1 : la montée des marches est filmée en plan d’ensemble en contre-plongée ce qui met en relief le comique de situation. Shahdov en tête grimpant avec son long tuyau suivi par son avocat pataud qui chute.

plan 2 : l’entrée dans le hall. La caméra a changé d’axe et filme le roi en travelling latéral, franchissant la porte en glissant sur un pied, comme dans ses fameux virages du temps du muet et reprenant sa course affolée tandis qu’une voix hors-champ appelle : « Igor Shahdov d’Estrovie. »

plan 3 : Le raccord se fait dans le mouvement. Le roi fait irruption dans la salle et se précipite à la barre en criant : « Ici ». Le foyer de la perception se situe à mi-chemin entre le public et le tribunal, plaçant ainsi le roi dans une situation intermédiaire où il est d’abord considéré pour lui-même. Les membres de la Commission sont dans la profondeur de champ. Shahdov est filmé de dos.

‘« Levez la main droite. Jurez de dire la vérité, toute la vérité. »’

Le spectateur omniscient, qui connaît la situation burlesque, pressent le rire. En effet, avec effort, le roi brandit la main droite prolongée de la lance à incendie. Les rires fusent de la salle.

Mais Chaplin ne s’en tient pas là et renforce le gag. Il va jusqu’au bout de la dérision pour donner au rire sa pleine fonction critique.

plan 4 : Par un montage cut, nous nous retrouvons dans le hall d’entrée. Les policiers apercevant le tuyau déroulé s’écrient : « Un incendie ! Déclenchez l'alarme ! »

plan 5 : Le montage alterné nous ramène à Shahdov cadré de face à la barre. Une voix d’un membre de la Commission s’exclame : « Quelle pitrerie ! »

‘Shahdov réplique : « Excusez-moi, j’ai dû apporter la lance avec moi. »’

plan 6 : Les policiers rajustent le tuyau à un autre.

plan 7 : Plan d’ensemble sur la salle. Le roi essaie d’enlever la lance.

‘« Le Comité vous inculpe d’outrage au Congrès »
« Ce n’est pas chic de votre part » , répond naïvement Shahdov. ’

Plan 8 : Plan américain serré sur le roi. La pression est brutale dans le tuyau, l’eau jaillit. et il se trouve déséquilibré.

plan 9 : Contrechamp sur le tribunal : la lance arrose copieusement les membres de la Commission. On ne peut s’empêcher de penser au film muet de 1915 A Night in the Show qui use du même gag lorsque Chaplin veut annihiler ce qu’il n’aime pas.

plan 10 : Le montage cut entraîne un changement d’axe de la caméra. L’avocat est filmé en plan moyen dans l’encadrement d’une porte. Son interpellation brutale entraîne un contrechamp sur Shahdov.

Plan 11 : Mimant le déséquilibre sous la pression du jet, il l’arrose abondamment.

Très paradoxalement un fondu enchaîné sur une rotative débite les journaux. La manchette du premier : « Shahdov, témoin amical » et la manchette du second : « Le roi lavé des accusations de la Commission. » mettent curieusement fin à l’interrogatoire.

Suit la fermeture au noir qui clôt la séquence.

Il nous apparaît clairement que, dans ce type de prestation pour contester la politique américaine dirigée par les impératifs inquisiteurs du Maccarthysme et pour s’insurger contre les iniquités, les numéros burlesques de Shahdov ont bien plus de poids et pertinence cinématographique que les discours ampoulés et indigestes de Rupert. L’efficacité du procédé ne joue pas seulement sur le plan critique -Chaplin déjoue par le rire et le ridicule les menaces gouvernementales - mais sur le plan de l’écriture cinématographique. Alors que les scènes consacrées à la diatribe politique de Rupert étaient pauvres sur le plan filmique - longs cadrages en plans fixes sans originalité, jeu stéréotypé de l’enfant -, celles où évoluent Shahdov retrouvent la légèreté, l’aisance, la fluidité rythmique des anciens courts métrages. La variété des plans, l’utilisation du montage cut, le travail sur la bande son et la violence de l’image contestataire instaurent une vraie transgression des lois de la bienséance et donnent à voir une vraie révolte de l’individu contre le système qui tente de l’aliéner, d’autant que le spectateur n’a pas oublié que le spectacle était désormais relayé par les canaux télévisuels présents dans la salle d’audience. Par ce souci de désencadrer ce que les autorités veulent “cadrer”, de désaxer ce que l’Etat veut mettre dans l’axe de la pensée dominante, Chaplin dans A King in New York aurait-il le souci de renouer avec ce qui faisait la gloire des films de “Charlot” ?