Avec un groupe de collègues volontaires dont certains avaient travaillé ou travaillaient encore avec nous au sein du groupe IDEM71-pédagogie Freinet, nous nous sommes lancé dans une longue réflexion sur les moyens de lutter contre l’échec scolaire. Certes, ce thème était alors de plus en plus médiatisé et l’objet de toute une série de mesures institutionnelles. Mais cela n’enleva en rien à la richesse des échanges qui permirent d’aboutir au premier trimestre de 1982, à un projet dont nous avons assumé la rédaction finale.
En mai 1981, nous avions aussi reçu la visite de notre I.P.R. de mathématiques. L’issue de cette inspection fut plutôt favorable, contrairement à celle de 1977 conduite par un inspecteur général qui avait porté un regard des plus décourageants sur nos pratiques pédagogiques. Notons qu’à la suite de cet événement, nous avions réalisé tout un travail d’analyse de notre pratique aidé, en cela, par Georges Glaeser. Nous n’en avons pas rendu compte dans cette note de synthèse, bien qu’il s’agisse d’un des nombreux exemples d’obstacles à affronter évoqués par Louis Legrand. Ainsi nous fûmes incité à nous investir dans l’expérimentation intitulée travail autonome et pédagogie de l’autonomie du programme national d’innovation. Nous acceptâmes et, dès la rentrée 82, nous fûmes intégré au groupe de travail en qualité de formateur-animateur académique. C’est alors par cette brèche 45 ouverte que nous avons porté notre projet jusqu’au bureau des innovations pédagogiques de la DL2, sans avoir hésité de négocier les appuis à plusieurs niveaux de la hiérarchie administrative. Cela fut pour nous la mise à l’épreuve de nos idées et de notre argumentation. Le projet présenté reçut tous les appuis et les moyens raisonnablement nécessaires. Le travail commença dès juin 1982 par un stage de formation de l’équipe. Il constitua pour nous une manière de mesurer les effets de l’extension de nos pratiques pédagogiques en mathématiques, leur applicabilité et leur transférabilité à d’autres disciplines. Force est de constater que ce détour de notre chemin, par ce que nous appelions quelques années auparavant l’Institution et la hiérarchie, nous offrait un cadre supplémentaire d’expérimentation et de confrontation sur nos pratiques pédagogiques. Certes le passage d’un travail en mathématiques au sein de notre classe à l’ensemble des disciplines impliquant l’ensemble des spécificités pédagogiques de chaque enseignant ne fut pas sans nécessité des renoncements. La pratique de la concertation entre les enseignants fut une condition essentielle qui requit beaucoup d’énergie. Celle de la réunion coopérative avec les élèves fut étendue sans trop de difficultés.
Les quatre premières années, nous avons assuré la coordination et l’animation de cette expérience pédagogique de travail en équipe pédagogique pluridisciplinaire autour d’une classe de seconde. Avec l’aide des collègues les plus motivés, nous avons alors procédé à un recueil systématique des comptes rendus des réunions de concertation entre enseignants, entre élèves ou entre enseignants et élèves, des outils produits et des descriptions des dispositifs pédagogiques dans lesquels ils étaient mis en œuvre. Ces données nous ont servi à rédiger les rapports annuels destinés pour rendre compte de l’avancée de notre expérience à divers niveaux de notre hiérarchie, du lycée au ministère. C’est aussi à partir de ces données traitées et analysées que nous avons pu collaborer à la rédaction d’ouvrages permettant de diffuser les acquis d’une expérience pédagogique. Pour ce faire, à la rentrée 1985, nous avons été déchargé à mi-temps de notre fonction d’enseignant pour rejoindre l’équipe des formateurs-consultants du bureau des innovations pédagogiques et des technologies nouvelles à la DLC à Paris. Cette situation sera maintenue jusqu’en 1990. Notre mission nous amena à participer à la formation de formateurs à partir des acquis qu’en collaboration avec cinq collègues de l’équipe de la DLC15, nous avions produits en traitant et en analysant méthodiquement les données recueillies auprès d’un échantillon d’une trentaine d’équipes pédagogiques dans des lycées métropolitains.
De notre point de vue, nous nous trouvions au cœur d’un processus de recherche. Celui-ci consistait à analyser un échantillon d’actions pédagogiques variées et contextuées sur un thème donné, ici le travail en équipe pédagogique [1987f] [1987g] [1988b] [1988c] [1988e] [1988f] pour en retrouver les problématiques et les cadres théoriques sous-jacents. À partir des comptes rendus d’expérience, notre tâche était d’expliciter les théories-en-acte 46 (Vergnaud 1991) sur lesquelles les acteurs ont fondé leur action. Nous visions cependant une mise en texte qui ne soit pas simplement descriptive mais qui expose des éléments permettant d’organiser une formation d’enseignant, de formateur ou même simplement de fournir une aide à une action pédagogique au sein d’un établissement. En d’autres termes, ce travail conduit dans une approche praxéologique à partir d’analyse de pratiques situées d’enseignement participe de la formation à la recherche. Et même, par l’étendue des problématiques rencontrées, des champs théoriques couverts et des questions méthodologiques abordées, des guidages et accompagnements d’équipes de terrain, elle fut de nature à développer des compétences non seulement à conduire par soi-même des recherches de type scientifiques mais à assurer l’encadrement et la direction.
Cette étude centrée sur le travail en équipe pédagogique au lycée a même trouvé un écho favorable dans les propos de Claude Pair (Pair 1986)
Ce travail eut une suite durant les années 1987 à 1990, au sein de l’INRP, dans le cadre du séminaire de sociologie de l’innovation animé par Jean-Louis Derouet. Nous avions rejoint ce groupe de travail, d’une part pour notre travail mené au sein de l’I.C.E.M.-pédagogie Freinet qui était associé aux activités de ce séminaire, d’autre part pour notre expérience acquise sur le thème du travail en équipe pédagogique au sein de la DCL15.
Il y eut une autre suite sous la forme d’un film vidéo [1988g] [1988h] sur le thème de la réussite des élèves en classe de seconde. Nous avons participé au groupe de travail qui élabora le scénario, puis au repérage des lieux et conditions de réalisation. enfin nous fûmes impliqué dans le tournage même puisqu’un des trois volets du film concernait l’expérience pédagogique de travail en équipe du lycée de Montceau-les-Mines, et plus particulièrement ce qui touchait aux questions soulevées par l’évaluation et le conseil de classe, à laquelle nous appartenions. Nous avons là encore rencontré de nombreuses situations de confrontation lorsqu’il s’agissait de faire des choix sur les séquences pédagogiques à filmer. Nous avons eu aussi la charge de rédiger un livret d’accompagnement du film qui puisse en même temps constituer un outil pédagogique pour l’organisation même de formation d’enseignants ou de formateurs.
Nous reprenons ici le terme même utilisé symboliquement comme titre de la revue pédagogique du mouvement Freinet au second degré à laquelle nous collaborions. Cette brèche est la porte qui s’ouvre sur un système que nous jugions impossible d’accès.
Nous reviendrons en seconde partie sur le sens de cet emprunt à Gérard Vergnaud.(voirPartie 2 § Par la sollicitation du processus d’apprentissage fondé sur le tâtonnement expérimental de l'apprenant.)