Comme nous avons eu à le préciser à maintes reprises, parallèlement à nos activités d’enseignant en lycée, de formateur et consultant à la DLC15, nous avons poursuivi nos activités de recherche universitaire.
Visant la soutenance d’une thèse de doctorat d’état en didactique des mathématiques, sous la direction de françois Pluvinage, nous avions dès la rentrée 1983 engagé une recherche sur la thématique de l’apprentissage en mathématiques fondé sur le tâtonnement expérimental de l’apprenant, adolescent lycéen, dans le prolongement des idées pédagogiques proposées par Célestin Freinet et des praticiens de l’I.C.E.M.-pédagogie Freinet. Nous avons tenté d’explorer le sens que cette notion recouvrait dans divers écrits pédagogiques produits par Freinet ou d’autres collègues qui y ont consacré une part importante de leur réflexion à partir des pratiques mise en œuvre dans leur classe. ainsi, pour le cas des mathématiques, en fut-il de Maurice Bertheloot à l’école Freinet de Vence, Paul Le Bohec ou encore Edmond Lémery, dans un collège de Chamalières (63). Son ouvrage Pour une mathématique populaire (Lémery 1983) apporte un témoignage fort instructif à l’égard d’un dispositif pédagogique. Ce dernier intègre des séquences didactiques permettant aux apprenants une approche de notions de mathématiques à partir de situations problèmes qui les engagent dans un tâtonnement expérimental.
Pour Célestin Freinet, le processus de tâtonnement expérimental constituait une forme universelle d’action du sujet sur son environnement. Il le considérait comme le processus déterminant de l’acquisition des connaissances et de leurs productions. Il postulait que la recherche scientifique se faisait exclusivement par tâtonnement expérimental. L’intuition de ce processus est, selon lui, d’abord une question de bon sens 49 en liant étroitement la vie et l’apprentissage ! En 1948, dans L’expérience tâtonnée 50 , il énonce onze lois concernant ce processus : la première pose que ‘« le processus de croissance est tout entier basé sur l’expérience tâtonnée »’, la troisième, que ‘« l’homme a précipité son expérience tâtonnée par l’emploi d’outils’ », la quatrième, que ‘« l’action se fait en deux temps : - 1er temps : expérience tâtonnée tend à trouver une solution satisfaisante en face d’une situation nouvelle. 2ème temps : la répétition des expériences réussies jusqu’à la maîtrise automatique de l’outil’ » Prenant l’exemple du calcul, il écrivait que ‘« le professeur l’enseigne méthodiquement, en allant, comme il se doit, du simple au complexe, l’enfant ne devant étudier le nombre 101 que lorsqu’il sera familiarisé totalement avec les nombres à deux chiffres. Et cela réussit dans 50% des cas, les 50 autres pour cent étant allergiques à cette forme d’apprentissage de calcul, que l’École relèguera volontiers parmi les cancres. Les premiers, par contre, ont apparemment réussi parce que, malgré les leçons qu’ils ont subies, ils ont su habilement intégrer l’enseignement scolaire aux acquisitions normales de la vie, et que ce sont celles-ci, faites exclusivement par tâtonnement expérimental’ ‘, qui donnent une efficience factice aux méthodes scolastiques’. 51 » En fait, au début de notre activité d’enseignement, nous avons, en quelque sorte, adhéré à ces principes. mais très vite, en ce qui concerne l’apprentissage des mathématiques, nous nous sommes demandé en quoi le tâtonnement expérimental peut-il vraiment être à la base d’une nouvelle conception de l’apprentissage, plus efficiente que celle appelée traditionnelle. Célestin Freinet avait lui-même affronté cette question, sans la restreindre aux mathématiques. Il écrivait ‘« Tout, dans la vie, se fait par tâtonnement expérimental ’», et le justifiait par une accumulation d’exemples pris dans diverses tâches et divers métiers. Il était resté convaincu que le tâtonnement expérimental constituait le processus général sur lequel devait reposer les méthodes modernes d’apprentissage. Selon Freinet, la validation de cette hypothèse devait être faite par l’usage.
Nous demeurons encore convaincu de la richesse de l’exploitation de ce processus à des fins didactiques. Toutefois, il nous paraît tout aussi riche d’en poursuivre la théorisation. C’est à cette tâche que nous avons essayé de contribuer. Nous avons bâti une séquence didactique centrée sur le concept de fonction, en classe de seconde de lycée. Elle se déroule sur une durée de 20h30 en salle de classe à laquelle il faut ajouter celle du travail personnel en dehors des séances. Au cours des années 1986 à 1989, nous avons mis à l’épreuve cette séquence du début mars à fin avril. Nous en avons recueilli des données, à la fois pour réguler la séquence elle-même, et pour en mesurer l’efficience. En même temps que nous avons tenté de découvrir les conditions psychologiques et pédagogiques de sa mise en fonctionnement, nous avons aussi cherché à comprendre les mécanismes de ce processus en tant qu’un des facteurs déterminant le développement cognitif de l’individu. Dans la complexité du processus humain d’acquisition des connaissances, notre conjecture actuelle reste que le processus de tâtonnement expérimental agit de manière plus ou moins dépendante avec d’autres tels que le conflit socio-cognitif. Nous reviendrons en seconde partie sur cette question.
Freinet, C., (1966) Le tâtonnement expérimental, Éditions de l’École Moderne, (1), réédité dans BTR (18-19), 1976, p.42
Freinet, C., (1948) L’expérience tâtonnée, Éditions de l’École Moderne Française, (36), réédité dans BTR (18-19), 1976, pp 31-32
Freinet, C.,(1966), op. cit. , p 45