Dans le domaine des sciences de l’éducation

Dans le prolongement des travaux sur la thématique de l’auto-contrôle/correction/évaluation réalisés dans le champ de la didactique des mathématiques, nous nous sommes investi dans une recherche en DEA de sciences de l’éducation à l’université Lyon2, sous la direction de Guy Avanzini. Nous avons tenté d’expliciter un dispositif pédagogique organisant le cours de mathématiques en classe de seconde, en analysant nos propres pratiques, dans le but de repérer la manière dont opérait, en particulier, la notion d’auto-évaluation. La mise en route de ce chantier a permis la rédaction d’un mémoire [1986b] de DEA et sa soutenance, en septembre 1986. Ce travail a trouvé une suite dans la publication [1991b] sur la thématique du travail autonome. De là, nous avons été autorisé à poursuivre cette recherche dans le cadre d’un doctorat de sciences de l’éducation (nouveau régime). A cette occasion, nous avons resserré notre problématique en la centrant sur la formation à l’auto-évaluation, des élèves de classe de seconde, dans le cadre du cours de mathématiques. La question centrale principale était : peut-on former des élèves, adolescents et lycéens, à une auto-évaluation pertinente dans le cadre du cours de mathématiques ?

Le pari que nous souhaitions tenir, résidait dans l’affirmation suivante :

  • Oui, c’est possible mais sous certaines conditions. Celles-ci nous semblaient relever de trois ordres :
    • instrumental et technique : élaboration et emploi d’outils au sein d’un dispositif pédagogique adéquat pour assurer la mise en fonction de l’auto-évaluation.
    • caractéristiques du sujet apprenant et du processus d’apprentissage : prise en considération explicite des dimensions sociale, affective, cognitive et culturelle des sujets dans l’élaboration et la régulation du dispositif pédagogique.
    • relation didactique : la remise en cause de la relation maître-élève dans sa forme traditionnelle.

La première condition n’amène pas une discussion sur la nécessité de la médiation instrumentale et technique, mais bien plutôt sur l’adéquation du dispositif construit à son objectif : opérationnaliser l’auto-évaluation. La validation de cette facette de notre hypothèse est pragmatique, et presque expérimentale : elle a consisté à expliciter le dispositif pédagogique que nous avions progressivement et empiriquement construit. Partant, nous avons explicité les variables que nous avons jugées les plus pertinentes de notre modèle afin de procéder au contrôle de son fonctionnement et de ses effets. Parmi les variables contrôlées, nous en avions construit deux particulièrement importantes. La première visait à mesurer la capacité à s’auto-évaluer du sujet. La seconde à partir d’un inventaire des conduites manifestant l’autonomie du sujet visait à repérer son degré d’autonomie. A ce propos, lors de notre soutenance de thèse en 1983, nous avions exposé un cas de figure paradigmatique : ‘« Un des objectifs de l’éducation mathématique est de développer l’autonomie de l’élève vis à vis du maître. Quand un élève a soigneusement résolu un problème et qu’il s’est livré à un certain nombre de vérifications, il doit être en mesure de penser : “je suis sûr d’avoir résolu le problème ou il y a quelque chose qui ne va pas”. Il peut arriver que cette conviction soit incorrecte mais, malgré tout, l’élève s’investit pour défendre son point de vue. Il ne considère pas l’objection du maître comme venant d’un oracle’.»

Les autres variables concernaient le rapport affectif aux mathématiques, la compétence en mathématiques, la compréhension et le respect des consignes de travail, le respect des engagements de travail projeté, les caractéristiques socioculturelles familiales et le rapport à l’autonomie au sein de la famille, la position dans la fratrie, l’image-de-soi, celle relative à sa place dans le groupe-classe, le style cognitif, le passé scolaire et la représentation que chaque enseignant donnait de chaque élève au travers des bulletins trimestriels. Dans un même temps, elles modélisaient la seconde facette de notre hypothèse. L’accumulation de variables était pensée comme une manière de tenir compte de la complexité du phénomène que nous étudions.

La troisième facette de notre hypothèse tirait son origine de nos réflexions étayées par le discours tenu dans la pédagogie Freinet. L’exemple pourrait en constituer un argument de validation. Il concerne l’histoire de Henri Lebesgue, enfant et écolier, rapportée par Lucienne Félix : ‘« Un jour, donc, le maître propose un problème : Henri le fait et porte son résultat. “Ce n’est pas ça, recommence”, lui dit le maître. L’enfant refait son calcul et trouve la même réponse. “Mais non, fais attention !”, lui redit le maître, et là dessus il sort laissant les enfants au travail. Alors Henri se lève, va jusqu’au bureau et regarde le livre du maître où il décèle l’erreur. A la rentrée de l’instituteur, Henri s’écrie : “c’est le livre qui s’est trompé !” Le père Flobert (l’instituteur) déclarait ensuite tout heureux “c’est le gosse qui avait raison’ !” » 52 Nous pouvons assez facilement imaginer l’effet d’une conception traditionnelle de la posture de l’enseignant qui ne peut, aux yeux des disciples, commettre aucune erreur. D’un autre point de vue, au sein de la classe, si le droit d’évaluer est reconnu pour tous, il n’est pas de même du pouvoir d’évaluer. Il existe une hiérarchie dont la position dominante est occupée par l’enseignant, mais qui peut aussi subsister au sein des groupes d’élèves en fonction de leur compétence en mathématiques. Cela tient sans doute à ce que la relation habituelle évaluateur/évalué est profondément intériorisée en chacun dans le sens dominant/dominé. La confrontation à des pratiques auto-évaluatives n’a aucune raison de détruire immédiatement cette représentation. Dans cette formation à l’auto-évaluation, l’enseignant conserve le pouvoir sur la définition des objectifs et de critères d’évaluation. Le rôle actif tenu dans la pratique auto-évaluative ne paraît pas suffisant pour modifier la relation pédagogique traditionnelle enseignant/apprenant. Il semble nécessaire que l’enseignant lui-même repense cette relation dans le sens du guidage et de l’accompagnement, et combatte l’image de l’enseignant qui sait tout et ne commet point d’erreur.

Un autre argument vient en faveur de notre hypothèse. Il se fonde sur le résultat rapporté par Jean-Marie De Ketele qu’il emprunte à Joseph Nuttin et selon lequel (De Ketele 1987 p.135) ‘« l’idée que l’enfant a de sa valeur et de ses capacités lui vient en bonne part des jugements portés par autrui. (Le) concept de soi est très lié à l’image que, selon notre perception, les autres ont de nous-même’. » Il ajoute que (De Ketele 1987‘)» dans le cadre d’un processus éducatif qui cherche à rendre l’élève (plus) autonome, vouloir modifier une conduite humaine suppose une pensée attentive aux divers champs représentatifs. »’

D’un point de vue téléologique et axiologique, nous maintenons notre conviction philosophique que la formation à l’auto-évaluation est souhaitable, même dans le cadre de l’enseignement des mathématiques. Rendre un sujet apprenant et adolescent capable de s’auto-évaluer, c’est lui donner des moyens de développer son autonomie mentale et intellectuelle.

Nous reviendrons dans la seconde partie sur les notions clés de cette thématique ainsi que sur les résultats de travaux de recherche auxquels ils donnèrent lieu et qui ont été conduits par des étudiants sous notre direction.

Notes
52.

Félix, L., Message d’un mathématicien : Henri Lebesgue