chapitre 2 : Retrouver la trame thématique de l’itinéraire intellectuel au travers des écrits présentés et de leurs apports.

Un premier glissement thématique vers instrumentation et autonomisation.

Pour situer notre démarche, nous avons choisi d’intituler notre note de synthèse : Auto-évaluation et autocorrection dans l'enseignement des mathématiques et de la statistique. Cette formulation thématique nous a semblé la mieux adaptée pour désigner d’abord deux objets récurrents de notre itinéraire intellectuel : l’autocorrection et l’auto-évaluation, puis l’action qui les a mobilisés : l’enseignement, et enfin un cadre disciplinaire qui canalise et donne un contenu à cette action : les mathématiques et la statistique. Si, effectivement, nos travaux ont été organisés par cette thématique, il nous semble qu’en fait ceux-ci ont été orientés par une autre thématique intégrant la précédente : celle de l’instrumentation et de l’autonomisation du sujet apprenant.

Notre présupposé consiste à considérer les deux processus instrumentation et autonomisation, non dans un simple rapport de juxtaposition, mais dans un rapport d’interaction, peut-être même dans une relation dialogique 74 (Morin, 1986) au sens donné par Edgar Morin ordonnée au phénomène du développement cognitif du sujet. En d’autres mots, nous ne concevons pas le développement de l’autonomie du sujet apprenant sans l’usage d’instruments pour le soutenir. Et l’accès à un degré supérieur d’autonomie accroît la capacité du sujet à recourir à d’autres instruments qui, à leur tour, lui permettront de poursuivre son développement.

Nous entendons par autonomisation, le processus par lequel un sujet, sous l’influence de facteurs endogènes et exogènes, devient plus autonome. Nous reviendrons dans la seconde partie à cette notion d’autonomie. Toutefois, comme nous avons eu l’occasion de l’expliciter dans une communication 75 intitulée : Gérer individuellement et collectivement des apprentissages : le choix de s’interroger, en tentant d’aborder ces deux questions : à quel individualisme faisons-nous référence au travers des principes et valeurs affirmés par la Charte de l’École Moderne et le Projet d’Éducation Populaire de l’I.C.E.M. ? et comment organiser des situations d’enseignement-apprentissage pertinentes et cohérentes avec ces idées ? Nous maintenons ici notre point de vue. En particulier, nous posions [1991q] 76 que : ‘« L’individu n’est pas conçu dans la perspective d’une totale autosuffisance qui le rendrait indépendant d’Autrui. Nous admettons l’existence d’une pluralité d’individus dont nous souhaitons tenir compte. Or à des degrés divers de liberté et d’autonomie, cette pluralité implique des contacts et des échanges qui déterminent des limitations.(…). L’autonomie n’est jamais totale ou nulle, elle est graduelle et varie dans les deux sens selon les circonstances dans lesquelles un individu se trouve placé’. »

Délibérément, nous plaçons le sens pédagogique de l’autonomisation dans une perspective à contre-courant de la dérive que nous y dénoncions et que pointent de leur côté Jöelle Allouche-Benayoun et Marcel Pariat à propos de la signification des choix pédagogiques du formateur dans le cadre de la formation des adultes. Ils écrivent (Allouche-Benayoun et Pariat, 1993 p.72) : ‘« L’accent mis sur l’individu, au nom de valeurs telles que la responsabilisation ou l’autonomisation, vise moins semble-t-il en cette fin de XXème siècle, la formation du citoyen ou la formation sociale que le renforcement d’une nouvelle forme d’individualisme dans un contexte idéologique où l’individu tend à devenir la seule finalité.’ »

Dans notre contexte, nous entendons par instrumentation 77 , à la fois, le processus par lequel un sujet-enseignant construit et met à la disposition des instruments pédagogiques et didactiques à un sujet-apprenant, et le résultat, c’est à dire l’ensemble des instruments mis à la disposition à des fins pédagogiques. Dans cette acception, instrumenter conserve l’idée de doter d’instruments les sujets-apprenants. Et nous le distinguons clairement de instrumentaliser qui consisterait à considérer ces derniers comme des instruments. Notons qu’en 1822, le Dictionnaire 78 de l’Académie Française définit, en un sens qui ne nous convient pas, le verbe instrumenter 79  : ‘« Terme de pratique. Passer des contrats, faire des contrats, des procès verbaux, etc. et autres actes publics’ » et ne mentionne nullement instrumentaliser 80 .

L’instrument correspond d’abord au sens commun ‘« d’objet fabriqué servant à exécuter quelque chose., à faire une opération’ » mais aussi à celui ‘« d’objet utilisé pour une fin déterminée »’. La définition du dictionnaire Le Robert 81 mentionne une remarque précisant que instrument est plus général et moins concret que outil ; mais désigne des objets plus simples que appareil ou machine. Ce qui, maintenant, nous paraît intéressant, est à mettre au compte de l’étymologie même du terme instrument. En effet il vient du latin instrumentum qui désigne en sens propre et figuré ‘« le mobilier, l’ameublement, le matériel, l’outillage, les ressources, le bagage’ » 82 . Cicéron, emploie instrumentum oratoris pour ‘« le bagage, les ressources de l’orateur ’» et instrumenta naturæ pour ‘«les outillages, les dons naturels d’ordre intellectuel’». Dès cette époque, nous pressentons un sens à rapprocher de celui d’instruments de pensée, d’instruments intellectuels.

En relation avec le domaine de l’enseignement des méthodes dites qualitatives et quantitatives qui nous intéresse particulièrement, nous trouvons un parti pris relatif à l’instrumentation avec l’ouvrage de Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet (Pourtois, Desmet, 1997) intitulé Épistémologie et instrumentation en sciences humaines. L’instrumentation y est considérée comme une composante de base de la méthodologie, à l’importance sous-estimée. Ils poursuivent par ces propos (Pourtois, Desmet, 1997 p. 10) : ‘« En fait, les instruments, qui sont un ensemble de procédures de mesure, jouent un rôle décisif dans l’accroissement des connaissances. Ils sont nés avec l’apparition de la méthode expérimentale et entendent garder leur rigueur avec l’émergence de l’approche qualitative. L’objectif (…) est d’examiner dans quelle mesure il existe une correspondance entre les conceptions épistémologiques actuelles et les techniques d’instrumentation utilisées dans les travaux récemment publiés. En d’autres termes, la réflexion épistémologique atteint-elle le côté concret de la recherche ?’ ». Nous y percevons une des finalités de notre enseignement de statistique dans la mesure où [1997c p. 9] ‘« nous lui (statistique) attribuons comme but central de constituer un outil d’aide à la décision, que cette décision soit prise à partir d’une exploration, d’une description de données spécifiées recueillies dans des circonstances connues ou encore à partir d’hypothèses testées conduisant à une certaine maîtrise du risque encouru. »’

Nous nous retrouvons aussi dans la perspective adoptée par Gérard Scallon (Scallon 1988a, 1988b) relativement au champ de l’évaluation formative. Ce chercheur fait le choix d’une méthodologie instrumentée, et, à côté de l’importance à accorder aux démarches informelles, affirme l’importance de démarches instrumentées. Il le justifie ainsi (Scallon 1988b, p 5) : ‘« à ce titre, plusieurs symptômes de difficulté risquent d’échapper à une procédure d’observation non structurée, non planifiée. Dans le cas d’apprentissages reconnus comme complexes, c’est à dire s’appuyant sur des apprentissages antérieurs, le souci d’amorcer une régulation appropriée exigera plus de rigueur d’analyse pour rechercher ce qui peut faire obstacle’ ‘ à une maîtrise satisfaisante, voire à une réussite. C’est alors que les démarches instrumentées d’évaluation formative pourront s’avérer utiles’ ».

Franchissons un pas supplémentaire. Le terme instrumentum dérive du verbe latin instruere qui a donné le verbe français instruire. Ces deux signifiants prennent en charge, dans l’une et l’autre langue, le sens actuel de enseigner. De manière spéculative, nous trouvons donc, par ce chemin, un lien entre l’instrument et l’enseignement.

Rapporter à l’enseignement des mathématiques et de la statistique, l’instrumentation en tant qu’ensemble, est constituée, par exemple et sans exhaustivité, par les instruments de mathématiques habituels tels que le compas, l’équerre, les tables de logarithmes, les machines à calculer, etc. ou encore le couple feuille de papier millimétré et crayon pour obtenir la représentation graphique d’une courbe ou d’un histogramme. Il nous faut alors ajouter les instruments pédagogiques et didactiques que sont les manuels, les livrets autocorrectifs, les grilles d’auto-évaluation, les plans et les bilans de travail, le journal de classe, en d’autres termes les instruments de travail de l’enseignant et de l’apprenant. Là surgit une problématique à laquelle implicitement nous nous sommes confronté :

  • Quelles compétences, quelles connaissances le sujet-apprenant doit-il développer et acquérir pour faire un usage efficient des instruments qui lui sont fournis dans les situations d’enseignement scolaire ou universitaire ?
  • Quelles compétences, quelles connaissances le sujet-enseignant doit-il développer et acquérir pour élaborer des instruments pertinents et en faire un usage pédagogique et didactique efficient ?

En effet, nous insistons sur le fait que l’instrumentation n’est pas une fin en soi mais un moyen. Par conséquent, il s’agit d’user de ces instruments pour parvenir au but formatif visé et non pour s’en tenir à la maîtrise d’un mode d’emploi. Il nous semble qu’à partir de nos travaux, nous pourrons dans la suite de notre propos ébaucher quelques hypothèses relatives à cette problématique.

Si nous devions évoquer plus avant les cadres théoriques au sein desquels nous situerions cette perspective instrumentale, à côté de la philosophie de l’éducation telle que nous la percevons dans Pour une école du peuple (Freinet 1969a) et de la psychologie empirique de l’apprentissage et de l’éducation, telle qu’exposée dans Essai de psychologie sensible (Freinet 1971a, 1971b) qui fondent la pédagogie Freinet et qui nous ont ainsi fourni les premiers cadres théoriques pour éclairer notre praxis, il y aurait à puiser à bien d’autres sources.

Nous pensons à ceux qui, bien avant nous, ont contribué par leur réflexion et leur pratique à poser les bases d’une perspective dite nouvelle ou moderne pour l’éducation des enfants et des adolescents, dans le cadre formel de l’institution scolaire. Depuis 1968 83 , à des degrés d’explicitation et d’engagement plus ou moins élevés, nous nous sommes reconnu dans cette perspective de l’éducation nouvelle ou moderne. Nous avons tenté d’expliciter (voir 1.1Né quelque part…) les raisons de cette attirance, qui tiennent à notre histoire de vie et notre façon de voir le monde, à notre philosophie et notre psychologie de l’éducation, certes avant tout de sens commun, mais qui animent, guident et régulent notre action tant dans le quotidien que dans la vie professionnelle, en particulier, celles qui sont impliquées dans le présent travail : les actions d’enseigner et d’apprendre.

D’une certaine manière, l’instrumentalisme de John Dewey caractérisée selon André Lalande 84 par le trait ‘« d’admettre que toute théorie est un outil (tool), un instrument pour l’action et la transformation de l’expérience’. » constitue un cadre théorique de référence pour analyser notre action enseignante et nos travaux qui la prennent pour objet. Dans une tradition philosophique rousseauiste, John Dewey comme Célestin Freinet, dérive ses propositions pédagogiques de leur conception du rapport entre éducation et développement naturel. John Dewey (Dewey, J., Dewey, E.,1930 p. 28-48) expose un essai d’éducation considérée comme un processus naturel du développement. Célestin Freinet parle d’une méthode naturelle d’éducation (Freinet 1973b p. 30-33). Leurs conclusions parviennent à une remise en cause de la pédagogie scolaire habituelle. Cette idée du naturel, pour séduisante qu’elle soit pour un pédagogue, n’en soulève pas moins des questions dans le cadre de l’enseignement des mathématiques et de la statistique. C’est ce que nous avons tenté d’expliciter dans [1998c] Méthode naturelle et tâtonnement expérimental, dont nous parlerons plus loin (voir 2.2.1 Axe 1 : Enseignement et la question du tâtonnement expérimental de l’apprenant)

En tout état de cause, à cette heure, notre position à l’égard de la question du naturel nous laisse dans un état d’insatisfaction intellectuelle.

Évidemment, il convient de mesurer les conséquences que peut entraîner une telle posture philosophique pragmatique dans laquelle la connaissance n’est qu’une forme de l’action, et le savoir ne s’acquiert que par l’action. L’efficacité d’une idée se substitue à sa vérité. John Dewey écrit : ‘« La connaissance réfléchie est un moyen de se rendre maître d’une situation anormale…mais elle est aussi un moyen d’enrichir la valeur significative immédiate des expériences postérieures’ 85 . » Outre les conséquences d’ordre pédagogique, nous y voyons les conséquences d’ordre méthodologique par lesquelles, ici, nous trouvons une justification à notre approche praxéologique désignée dans le sous-titre. Pour revenir au champ pédagogique, la perspective de John Dewey induit six conséquences dont nous tirons notre formulation des propos de son traducteur français R. Duthil (in Dewey, J., Dewey, E.,1930, p. 276) : ‘« ’

  • ‘JD1-L’éducation doit partir de la nature propre et des besoins véritables de l’enfant ;’
  • ‘JD2-L’école doit créer un milieu aussi favorable qu’il est possible au développement naturel de l’enfant.’
  • ‘JD3-S’instruire, c’est expérimenter ; il n’y a de pensée véritable que lorsque l’esprit a cherché à résoudre un problème et veut sortir d’une situation embarrassante.’
  • ‘JD4-Lorsque la matière des études est étrangère à la nature propre de l’enfant, le maître est obligé, pour provoquer l’effort, d’avoir recours à des stimulants artificiels. ’
  • ‘JD5-Si, au contraire, le programme des études est fondé sur les besoins et les intérêts de l’enfant, l’effort et l’intérêt jaillissent de la même source et se confondent, l’école est active, l’enseignement se suffit à lui-même.’
  • ‘JD6-L’école, c’est la vie et non la préparation à la vie. C’est pourquoi elle devrait être une société dont l’activité refléterait celle de la société des adultes. »’

Nous souscrivons aux propositions JD2 et JD6 en ce qu’elles traduisent nos intentions sous-jacentes aux expériences et aux études que nous avons faites sur l’organisation coopérative de la classe dans le cadre de l’enseignement des mathématiques en lycée puis sur le travail en équipe pédagogique en lycée sur la base d’un projet pédagogique qui intégrait cette perspective de gestion coopérative des situations d’enseignement-apprentissage. Nos écrits suivants tentent de communiquer les conditions et les acquis de ces expériences situées dans leur contexte habituel : la classe et le lycée.

Tableau 2.1 - 1 des écrits et publications référés à : Un premier glissement thématique
l’organisation coopérative de la classe dans le cadre de l’enseignement des mathématiques en lycée
[1977a] [1977c] Leurs débuts en pédagogie Freinet (1/2), La Brèche, 25, pp 4-8,
(2/2), La Brèche, 26, pp 23-25
[1981a] [1981b] [1981c] Échec à l’automathe (1/1), L’École Émancipée, (1/3) : n°6, pp 14-20,
(2/3) : n°7, pp 24-26,
(3/3) : n°8, pp 13-14
[1983d] Assaig de pràctica de la pedagogia Freinet a segon curs de < lycée> , Perspectiva Escolar, 79, Barcelone : Rosa Sensat, pp 35-46
travail en équipe pédagogique pluridisciplinaire en lycée
[1983e]
[1984d]
[1985b]
Lutte contre l'échec scolaire : expérience du travail en équipe pédagogique autour d'une classe de Seconde au lycée de H. Parriat de Montceau-les-Mines (71), rapport annuel d'expérimentation-innovation, MEN-Bureau des innovations pédagogiques et des technologies nouvelles, (année 82-83, 57 p) (année 83-84, 64 p) (année 84-85, 36 p)
[1986a] Margueron, P., Busser, F., Ciosmak, J., Boutin, P.(Eds) (1986a) Travailler en équipe pédagogique au lycée : synthèse d'une expérience 1982-1985, Paris : M.E.N, Poitiers : CRDP.
[1987c] Améliorer le fonctionnement du conseil de classe, , in P. Boutin, L. Brinet, F. Busser, J. Ciosmak P. Margueron, J-C Régnier, (Eds) Travailler en équipe pédagogique au lycée : des outils pour agir, Paris : M.E.N, Poitiers : CRDP, pp 147-156

La proposition JD3 correspond au parti pris que nous avons adopté avec l’apprentissage fondé sur le tâtonnement expérimental de l’apprenant. (Voir 2.2.1).

Il nous semble que l’énoncé JD5 est resté un idéal organisateur de notre action d’enseignant sans pouvoir réellement sortir du cadre de JD4. Par exemple, dans le cadre de l’enseignement des mathématiques en classe de seconde, dès le départ en 1975, nous avons mis en place deux séances hebdomadaires de travail de type libre recherche mathématique, l’une durant l’heure et demie de travaux dirigés intégrée à l’emploi du temps officiel en demi-classe, l’autre, pour les élèves volontaires entre 13h et 14h. Nous demandions aux élèves de construire par eux-mêmes un plan de travail mensuel organisateur de leurs activités pour ces séances et pour les trois autres heures dites de cours, incluant en particulier les deux modalités : ‘« je me propose de faire… ’» et ‘« j’ai effectivement fait…’ ». Nous leur demandions aussi de rapporter des situations vécues hors de l’école, des situations problèmes sur lesquelles nous espérions fonder notre enseignement. C’était notre interprétation pragmatique d’une méthode pédagogique naturelle. Le résultat fut très décevant, en tout état de cause, nullement à la hauteur des espoirs que la lecture des textes de Célestin Freinet et d’autres particiens-militants de l’I.C.E.M. avait suscités. Notre décision, sans doute prise sur la base d’une croyance pragmatique au sens kantien, fut alors de nous engager dans l’élaboration d’instruments tels que les plans et bilans de travail mensuels dont nous rendons compte de manière détaillée dans :

Tableau 2.1 - 2 des écrits et publications référés à : Un premier glissement thématique
[1991a] a utonomie et travail personnel dans l’enseignement des disciplines scientifiques en Lycée : Témoignage d’un travail conduit sur une année scolaire, Paris : MEN-DLC, Dijon : C.R.D.P., 167 p.

La proposition JD1 demeure celle qui nous éloigne le plus de cette perspective. Pour deux raisons majeures :

  • Les apprenants auxquels nous nous sommes intéressés, n’ont jamais été des enfants, mais toujours des adolescents au lycée ou des adultes à l’université.
  • Nous demeurons très circonspect quant à la capacité présupposée de l’éducateur à saisir la nature propre de l’enfant et de ses véritables besoins éducatifs. Certes, nous sommes profondément attaché au principe d’éducabilité de l’être humain. Nous croyons même que sa plasticité cognitive, affective ou psychomotrice se maintient à des degrés variables tout au long de sa vie comme nous le présentons dans l’article :
Tableau 2.1 - 3 des écrits et publications référés à : Un premier glissement thématique
[1998d] 86 Apprendre à tous les âges de la vie, Études Dirigées et Aide à l’auto formation, Actes de l’Université d’automne de Rennes 28-30 octobre 96, (sous la direction de Leray, Ch., Lecabec, E.), Rennes : CRDP-Bretagne, pp 33-35

Comment mettre cette perspective en acte pédagogique ?

En tout cas, nous avons beaucoup de difficultés à concevoir comment un dispositif pédagogique et didactique élaboré par l’adulte peut réellement prendre en compte cette nature propre de l’enfant et ses besoins éducatifs, en dehors des représentations contextualisées que cet éducateur mobilisera. La conjugaison des facteurs endogènes et exogènes contribue à brouiller les pistes sur lesquelles est engagé l’enseignant-pédagogue.

D’autres références nous aideraient dans cette approche praxéologique de notre propre action pédagogique et didactique pris comme objet d’étude.

Évoquons Adolphe Ferrière qui a contribué à nous faire comprendre la position de l’‘» Éducation nouvelle’ », et qui, dans un livre présentant les pédagogues Hermann Lietz, Giuseppe Lombardo-Radice, Frantisek Bakulé, écrit ces lignes (Ferrière, 1928 p. 5-6) : ‘« à chaque époque de son histoire, l’humanité qualifie de « nouveau » ce qui distingue la civilisation d’aujourd’hui de celle d’hier, ce qui lui paraît marquer un pas en avant vers la vérité. Mais hier n’avait-il pas raison — partiellement tout au moins — contre aujourd’hui ? La prétendue « vérité » nouvelle n’est-elle pas, bien souvent, illusion et réédition, sous un nom nouveau, d’antiques erreurs ? L’Éducation nouvelle échappe à ces critiques. (…) Sa seule nouveauté (…) est de poursuivre la vérité non pas en théorie seulement, mais en pratique et d’opposer le bon sens, uni à la science, au conformisme social tout puissant et quasi universel. ’» C’est bien cette façon de voir qui, au début de notre carrière, nous faisait dénoncer, certes dans un registre plus militant que scientifique, les méfaits de la pédagogie traditionnelle, en particulier, celle des mathématiques. C’est par elle encore que nous sommes investi dans des études universitaires allier théorie et pratique et unir la science et le bon sens. Nous ne prenons pas ce bon sens dans une acception cartésienne ‘« de la puissance de bien juger et distinguer le vrai du faux’ » dont chaque être humain est également pourvu, mais plutôt dans l’acception bergsonienne de ‘« ce qu’il y a de plus rare parmi les hommes’ » tel que le suggère Adolphe Ferrière. Cité par A. Ferrière (Ferrière, 1928 p. 6-7), Henri Bergson écrivait à propos du bon sens : ‘« …je ne sais quel sens du réel, du concret, du singulier, de l’original, du vivant, un art d’équilibre et de justesse, un tact des complexités en palpitation continuelle comme les antennes de certains insectes. Il enveloppe une subtile défiance de la faculté logique vis-à-vis d’elle-même. Il fait une guerre incessante à l’automatisme intellectuel, aux idées toutes faites, à la déduction linéaire. Il se préoccupe surtout de situer et de peser sans rien méconnaître. Il arrête le développement de chaque principe et de chaque méthode au point précis où une application trop brutale et indiscrète froisserait la délicatesse du réel. À chaque moment, il ramasse l’ensemble de l’expérience et l’organise en vue du présent. Il est, en un mot, pensée qui se garde libre, activité qui reste en éveil, souplesse d’attitude, attention à la vie, ajustement renouvelé à des situations toujours nouvelles.’ »

Près ¾ de siècle plus tard, cette conception de la nouveauté contre le conformisme mais que nous opposons aussi à la futilité de l’effet de mode dont se nourrit notre société de l’an 2000, pourrait nous permettre de questionner les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Nous tenterons d’y revenir à leur propos, plus loin.

Enfin ce qui nous frappe le plus dans les propos de Adolphe Ferrière, c’est leur actualité même. Jugeons-en à partir de ce qui fonde, selon lui, le mouvement de l’éducation nouvelle.

  • Le mécontentement à l’égard de l’ancienne école qui néglige les apports de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, et obtient avec de grands efforts un rendement insuffisant.
  • Le désir de préparer les enfants et les adolescents à la vie d’aujourd’hui et, si possible, de demain, au double point de vue matériel et spirituel.
  • Les progrès de la science et, en particulier, celui de la psychologie de l’enfance.
  • Le capital d’expériences que les essais multiples de centaines d’instituteurs des écoles publiques ont constitué et qui forme une base solide pour construire l’école nouvelle.

Nous retrouvons dans ces propos, des lignes de force de notre propre itinéraire intellectuel dans les domaines pédagogique et didactique.

Nous pourrions encore recourir à Georges Polya et Martin Wagenschein dont Georges Glaeser, notre directeur de thèse, nous a fait découvrir les œuvres. Nous reprenons ici le texte de l’ouvrage Une introduction à la didactique expérimentale des mathématiques (Glaeser, 1999 p. 73), à la réécriture duquel nous avons contribué, à propos des méthodes de Polya et de Wagenschein : ‘« Quelques innovateurs ont compris depuis longtemps ce qu'implique une pédagogie heuristique.’ Lorsqu'on fait allusion à une pédagogie basée sur la résolution de problèmes le nom de Georges Polya (1887-1985) vient immédiatement aux lèvres. Ce grand mathématicien a milité toute sa vie pour remettre le véritable problème à l'honneur. On lui doit des développements importants sur l'heuristique normative, autrement dit des recueils de conseils que l'on peut donner pour effectuer une recherche efficace. Partant de son expérience de savant, Polya ne discute pas les raisons didactiques qui obligent à centrer l'enseignement mathématique sur l'activité de recherche : il admet cette thèse comme une évidence !. Le fil conducteur de sa méthode est constitué par les fameuses "‘tables de Polya’"

Mais l'un des pionniers les plus clairvoyants de la pédagogie heuristique fut sans doute Martin Wagenschein. Il mit en place son "‘Exemplarische Lehren’", nommé enseignement paradigmatique ou méthode des thèmes généraux, mais on pourrait aussi bien traduire par enseignement par situations exemplaires. On part de la constatation qu'il est impossible de tout enseigner et que bourrer l'esprit de renseignements mal dirigés est une pratique pédagogique nuisible. On décide donc de choisir, dans l'ensemble des matières à assimiler, quelques thèmes typiques et complexes tout en étant abordables. Les élèves vont réfléchir sur chacun de ces thèmes, en prenant tout le temps nécessaire à une exploration en profondeur. La méthode repose sur un pari: on espère qu'avec un bon choix du thème, les élèves se trouveront confrontés à des notions d'intérêt général. La compréhension en profondeur d'un exemple bien choisi devrait se transférer en une compréhension de beaucoup d'autres sujets dans le sens de "Ce qui a été compris dans un coin, le sera aisément dans les trois autres". Certes, la méthode ne permet pas d'accumuler un grand nombre de connaissances factuelles, qu'il est pourtant impossible d'inventer soi-même. Mais la classe a toute liberté pour se documenter et s'entraîner à consulter des ouvrages de référence, ce qui justifie la nécessité d’une bibliothèque à la disposition des élèves. La méthode exemplaire peut être complétée, si nécessaire, par d'autres techniques pédagogiques, plus traditionnelles. A l'issue d'une séquence d'enseignement exemplaire, rien n'empêche le professeur à procéder à un exposé magistral, pour remettre en place des notions qui auront été comprises en ordre dispersé. Si la compréhension ne prend sa valeur qu'à condition d'être complétée par des habitudes, il est indispensable de procéder à un entraînement méthodique pour acquérir, par exemple, la rapidité et la fiabilité des automatismes. C’est avec une citation de Martin Wagenschein que nous achevons notre propos : ‘“Le professeur n'enseigne pas, au sens traditionnel du terme. Sa fonction est d'éveiller la curiosité, de stimuler, de guider, tout en intervenant le moins possible ; au départ, il engage les élèves dans un problème ; à l'arrivée, il les guide vers l'élaboration rationnelle des découvertes réalisées. En apparence, il joue un rôle entièrement passif ; sa principale activité -pourrait-il sembler à un observateur superficiel- est de se taire pendant des périodes prolongées... En réalité, naturellement, sa fonction est aussi indispensable que fructueuse : c'est celle d'un catalyseur intellectuel. De la réduction du volume occupé par le maître, ce sont les élèves qui profitent. Ce sont eux qui occupent l'espace intellectuel qu'il laisse libre, appelés à une activité spontanée engageant leurs propres ressources plutôt que d'être écrasés, dès le départ, par sa science’”. »

De Georges Polya nous avons retenu un instrument d’aide à la résolution de problèmes de mathématiques : la grille qu’il propose dans son ouvrage (Polya 1965) que nous avons associée à un questionnement et intégrée à notre dispositif [1991a p.54]. De Martin Wagenschein, nous avons pris l’idée d’installer, dans une armoire, une bibliothèque de sources documentaires pour l’enseignement des mathématiques à l’usage de nos élèves. C’est dans ce lieu que nous entreposions des instruments susceptibles de provoquer des situations de libre recherche mathématique.

Concernant l’approche heuristique, nous disposons d’un corpus de données issues d’observations provoquées de résolution de problèmes de mathématiques dans nos classes. Par ailleurs, Georges Glaeser nous a fait don d’un corpus de sources documentaires, afin de poursuivre des travaux sur cette approche heuristique dans l’enseignement des mathématiques et de la statistique dans notre perspective ‘« enseignement et tâtonnement expérimental’ ‘ de l’apprenant’ »

Cependant nous terminerons par Janusz Korczak dont l’œuvre nous avait impressionné, quand nous l’avons découverte en 1976 en Pologne, par un travail sur le thème des apports pédagogiques comparés de Freinet, Korczak, Makarenko avec Aleksander Lewin, témoin direct, et sur les lieux mêmes de ses maisons d’enfants, comme nous l’avons déjà écrit (voir 1.2.2.2 page 37 ). Nous en avions tiré un article alors que Janusz Korczak n’était connu en France que par des spécialistes :

[1977e] Un pédagogue novateur polonais : Janusz Korczak, L'Éducateur, 12, pp 29-32

Des instruments pédagogiques, aujourd’hui bien connus, dont il usait dans son système éducatif, tels le système des services, l’arbitrage de la communauté, le conseil judiciaire autogéré, le parlement, le journal, le plébiscite de bienveillance ou les paris, nous avons surtout emprunté l’idée de la boîte aux lettres. Dans celle-ci, les enfants mettaient les lettres au sujet de différents problèmes. L’éducateur y répondait soit par écrit soit au cours d’un entretien direct avec l’enfant. Janusz Korzak a justifié cette pratique en considérant qu’elle ‘« apprend aux enfants à attendre une réponse, à faire la distinction entre des rancunes, des soucis, désirs, doutes menus, passagers et graves, à penser et à motiver, à savoir vouloir’. » Dès la rentrée 1976, en classe de seconde, nous avons alors expérimenté dans notre dispositif pédagogique l’usage d’une boîte à idées comportant deux compartiments pour recevoir par écrit anonyme ou non, ce qui concernait à propos de la vie de la classe et l’organisation pédagogique :

Chaque mois, l’ordre du jour de la réunion coopérative était fixé en partie sur le contenu de cette boîte. Toutefois, son usage par les élèves n’a pas été aussi fréquent que nous l’espérions. Nous avons alors intégré ces rubriques à la grille de bilan mensuelle dont un exemple est donné dans [1991a p. 40]. Nous avions instauré le couple critique/suggestion afin de forcer les élèves à tenter de résoudre les problèmes qu’ils soulevaient. Force est de constater que nous n’avons jamais eu à l’époque de propos que nous avions situé hors champ. Nous avons consigné toutes nos observations dans notre journal de bord. De nombreuses données pourraient encore être exploitées à des fins d’étude pédagogique. À partir de la piste ‘« je critique-je suggère »’, nous avons eu aussi accès à des recueils de difficultés des élèves qui nous ont servi dans l’élaboration de nos instruments, dans leur adaptation et dans la régulation de leur mode d’emploi.

Dans une toute autre perspective, celle de la psychologie vygotskienne, nous avons aussi rencontré cette notion d’instrument. à son sujet, Vygotski écrit (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 39-47) 87  : ‘« Dans le comportement de l’homme, nous rencontrons toute une série d’adaptations artificielles qui vise à contrôler les processus psychiques. Par analogie à la technique, ces adaptations peuvent être définies conventionnellement comme “instruments psychologiques”. ’» Fondant cette comparaison sur la similitude entre le rôle des adaptations dans le comportement et celui de l’instrument dans le travail, il complète : ‘« Les instruments psychologiques sont des élaborations artificielles ; ils sont sociaux par nature et non pas organiques ou individuels ; ils sont destinés au contrôle des processus du comportement propre ou de celui des autres, tout comme la technique est destinée au contrôle des processus de la nature’. ». Dans cette catégorie des instruments psychologiques, Vygotski place le langage, les diverses formes de comptage et de calcul, les moyens mnémotechniques, les symboles algébriques, les œuvres d’art, l’écriture, les schémas, les diagrammes, les cartes, tous les signes possibles, etc.

Dans l’acte même d’écriture de cette note de synthèse 88 , ilnous semble que la perspective de la méthode instrumentale vygotskienne constituerait un cadre théorique pour situer notre propre perspective instrumentale. Elle est à distinguer alors de la perspective instrumentale de Dewey, selon les propres termes de Vygotski ‘« La méthode instrumentale n’a rien en commun (à part le nom) avec la logique instrumentale de Dewey et des autres pragmatistes’. » (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 45).

Vygotski distingue l’instrument psychologique de l’instrument technique par la direction de l’action. ‘« Le premier s’adresse au psychisme et au comportement, écrit-il, — (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 43§13)— tandis que le second (…) intermédiaire entre l’activité de l’homme et l’objet externe, est destiné à obtenir tel ou tel changement de l’objet même. L’instrument psychologique ne provoque pas de changement dans l’objet ; il tend à exercer une influence sur le psychisme propre (ou celui des autres) ou sur le comportement. Il n’est pas un moyen d’agir sur l’objet. Dans l’acte instrumental’ ‘ 89 ’ ‘ se manifeste par conséquent une activité relative à soi-même et non à l’objet’. »

Ainsi, prenons l’exemple d’un plan ou un bilan de travail, il s’agit d’instruments techniques de travail de notre ingénierie pédagogique. Nous pourrions dire que, du point de vue de l’enseignant, il s’agissait déjà d’instruments psychologiques. Mais pour l’élève qui les recevait, rien ne pouvait prévoir que ce ne serait autre chose que des instruments techniques, agissant en stimuli comme tout instrument. Leurs caractéristiques techniques et matérielles n’en faisaient pas immédiatement un instrument psychologique.

Ainsi donc, à quelles conditions le devenaient-ils dans le contexte quotidien même de la classe et de l’enseignement des mathématiques et de la statistique ? Car, à la lumière de la perspective vygotskienne, c’est bien l’efficience des instruments psychologiques que nous visions par nos dispositifs pédagogiques, et dont Vygotski considère que leur usage (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 44§16) : »augmente et élargit énormément les potentialités du comportement, rendant accessibles à chacun les résultats du travail des ancêtres. »

Rappelons que les sujets auxquels nous adressions ces instruments, étaient des adolescents. L’instrumentation psychologique dont ils disposaient, était le fruit de plus de 15 ans d’expérience de vie sociale scolaire et hors de l’école, et donc parvenu à un état de développement psychique et physique avancé. Dans les dernières années, nous avons élaboré des grilles d’auto-évaluation et des livrets autocorrectifs qui sont des instruments destinés à des adultes.

Comment les caractéristiques psychiques des sujets — l’enfant, l’adolescent et l’adulte — et les caractéristiques contextuelles des situations d’enseignement-apprentissage dans lesquels ils sont impliqués — école, collège, lycée, université — peuvent-elles être prises en compte dans l’élaboration et la mise en œuvre des instruments pédagogiques et didactiques par l’enseignant, pour accroître leur efficience dans le sens de la méthode instrumentale vygotskienne ?

Le choix de cette perspective vygotskienne nous permettrait d’ailleurs de prendre une position plus claire dans la question du naturel. En effet le parti pris de cette méthode instrumentale conduit à considérer l’éducation comme ‘« le développement artificiel de l’enfant. Elle n’est que le contrôle artificiel des processus de développement naturel. L’éducation ne fait pas qu’exercer une influence sur un certain processus évolutif ; elle restructure de manière fondamentale toutes les fonctions du comportement.’ » (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 45§18)

S’engager dans cette perspective plus avant, nous conduira sans nul doute à repenser certaines positions que nous avons prises jusqu’alors tant d’un point de vue théorique que pratique dans nos orientations pédagogiques et didactiques. À ce stade de réflexion, elles restent à découvrir. Les travaux présentés dans les ouvrages Aplicações de Vygotsky à educação matemática (Moysés 1998) et Après Vygotski et Piaget : perspectives sociale et constructiviste. Écoles russe et occidentale (Garnier et al, 1991) constituent des sources intéressantes pour nous. Relativement aux instruments, avec Alexis Leontiev que nous avons pris en référence pour tenter d’éclairer la notion de travail, nous pouvons maintenant expliciter un sens de la relation instrument et travail. Il écrit (Leontiev 972 p. 74) : « Le travail ne modifie pas seulement la structure générale de l’activité humaine, il n’engendre pas uniquement des activités orientées ; le contenu de l’activité que nous appelons opérations, subit aussi une transformation qualitative dans le processus de travail. » et il poursuit ‘: « Cette transformation des opérations s’effectue avec l’apparition et le développement des outils de travail. Les opérations de travail des hommes ont ceci de remarquable qu’elles sont réalisées avec des outils’ ‘ 90 ’ ‘, des moyens de travail’. » En ce sens, l’instrument se trouve relié au travail en ce qu’il constitue le moyen avec lequel une action et des opérations de travail sont réalisées par des êtres humains. La conscience du but de l’action de travail est une nécessité pour produire et utiliser des instruments. Mais l’utilisation même d’instruments conduit à la conscience de l’objet de l’action dans ses propriétés objectives. Il faut aussi considérer la dimension sociale de l’instrument. Il est un objet social auquel est attaché un mode d’emploi socialement élaboré au cours du travail collectif. Il nous semble qu’un livret autocorrectif répond bien à ces caractéristiques.

Par ailleurs, cet engagement ne nous paraît pas en contradiction avec une autre perspective complémentaire que nous souhaiterions intégrer à nos futurs travaux. Une perspective qui intégrerait la dimension culturelle impliquée par le recours même à des instruments. La perspective qu’offre Jérôme Bruner nous serait tout aussi profitable. Déjà (Bruner 1997) n’attribue-t-il pas, à ce qu’il nomme la psychologie populaire, un statut d’instrument de la culture. Et son propos (Bruner 1970 p. 7-8) est fort encourageant quand il insiste sur la spécificité humaine de la possibilité de recourir aux instruments de pensée et de communication pris dans la ‘« boîte à outils culturels’ » et d’exercer, très tôt, la capacité à engendrer des hypothèses liées aux contextes pour guider notre action. Puis quand il ajoute (Bruner 1970 p. 8) : ‘« John Dewey notait que le langage était un instrument puissant pour ordonner nos pensées à propos des choses’. » et, parlant de Vygotski, il écrit (Bruner 1970 p. 8) : ‘« C’est son œuvre qui m’a très tôt convaincu qu’il est impossible de concevoir le développement humain comme autre chose qu’un processus d’assistance, de collaboration entre enfant et adulte, l’adulte agissant comme médiateur de la culture. »’

Dans notre perspective, la question demeure de savoir quelle signification prend ce processus d’assistance, de guidage, d’accompagnement, dans la médiation adolescent adulte, adulteadulte, dans le champ de la formation et de l’éducation. Comment opérationnaliser cette médiation culturelle dans le cadre de l’enseignement qui nous préoccupe ?

Ultérieurement, nous souhaiterions poursuivre au-delà de la réflexion que nous menons ici, un travail sur la dialectique que nous avons posée initialement instrumentation autonomisation et sur l’idée que les documents tels que les plans et bilans de travail, les livrets autocorrectifs ou les grilles d’auto-évaluation, sont des instruments techniques dont leur usage s’intègre à une activité d’apprentissage de concepts scientifiques de mathématiques et de statistique dans le cadre d’un enseignement scolaire ou universitaire. Cet usage amène le sujet apprenant à activer les processus même de planification, d’autocorrection et d’auto-évaluation et à les intérioriser comme des instruments psychologiques participant de son développement psychique. Nous espérons pouvoir importer de la psychologie, un éclairage sur le développement des concepts non spontanés tels que les concepts scientifiques, dans l’esprit de l’adolescent et de l’adulte. Quel rapport y a-t-il, chez un adolescent ou un adulte ayant atteint un certain niveau de maturité des fonctions psychiques déterminées (attention, mémoire, pensée, langage, volonté, anticipation), entre d’une part, les processus d’apprentissage proprement dit et d’assimilation des connaissances, et d’autre part, le processus de développement interne du concept scientifique dans la conscience d’un sujet ayant le stade des opérations formelles ?

Notes
74.

Selon E. Morin : le principe dialogique peut être défini comme l’association complexe (complémentaire/concurrente/antagoniste) d’instances nécessaires ensemble à l’existence, au fonctionnement et au développement d’un phénomène organisé (Morin 1986 p. 98)

75.

3ème Salon des Apprentissages Individualisés et Personnalisés 27/28/29 novembre 1991 à Nantes organisé par l’I.C.E.M. sous l’égide du M.E.N

76.

Le texte intégral de cette communication est accessible à l’URL suivant :

ftp://epicure.univ-lyon2.fr/www/%7Eregnier/artigos/Pub_1991q.pdf

Il est aussi accessible sous forme de page Web sur le site Internet :

http://perso.wanadoo.fr/jean-claude.regnier/

77.

Pour nous, Il ne s’agit donc pas du sens donné en musique :  « orchestration tenant compte des caractères individuels des instruments » (selon Le Dictionnaire Le Robert, 1986)

78.

Dictionnaire de l‘Académie Française, 1822., Paris : Chez Garnery, Librairie, 5ème éd, 2 Tomes.

79.

La date d’apparition est fixée à 1431 selon le Dictionnaire Le Robert pour ce verbe instrumenter.

80.

Ce qui est cohérent avec la date d’apparition du terme qui est fixée à 1980 selon le Dictionnaire Le Robert pour ce verbe instrumentaliser.

81.

Le Robert, Seconde édition 1986, op; cit.

82.

Gaffiot, F., (1934) Dictionnaire illustré Latin-Français, Paris : Librairie Hachette

83.

C’est en 1968 que nous pourrions dater le début d’une formation à l’approche de questions éducatives, dans un cadre formel et qui, d’une certaine manière, s’est poursuivie jusqu’à ce jour sans que celui-ci en soit le terme. En effet, durant les vacances de printemps 1968, 1969 et 1971, nous avons effectué, au sein des CEMEA, successivement, un stage de formation aux fonctions de moniteur de colonies de vacances, de moniteur de camp d’adolescents et de moniteur-animateur de rencontres internationales. La fréquentation de ces cadres de formation institués nous a permis de rencontrer la littéraire éducative et pédagogique à laquelle notre formation scolaire lycéenne puis universitaire ne nous avait donné explicitement accès, exceptés Jean-Jacques Rousseau et François Rabelais. L’année 1972 sera celle de la découverte de la pédagogie Freinet.

84.

Lalande, A., (1991), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris : PUF, (1ère éd. 1926), 17ème éd. p.520 [article : « instrumentalisme »]

85.

« Reflective knowing is instrumental to gaining control in a troubled situation…it is also instrumental to the enrichment of the immediate significance of subsequent experiences » cité par Lalande op. cit. p. 520, extrait de Dewey, J., Essays in experimental logic.

86.

Le texte intégral de cette communication est accessible à l’URL suivant :

ftp://epicure.univ-lyon2.fr/www/%7Eregnier/artigos/Pub_1998d.pdf

Il est aussi accessible sous forme de page Web sur le site Internet :

http://perso.wanadoo.fr/jean-claude.regnier/

87.

Ce chapitre est consacré à la méthode instrumentale en psychologie selon des textes de Vygotski datant de 1930

88.

qui est elle-même interprétable dans la perspective de Vygotski et de Luria qui estiment que « l’écriture ne permet pas seulement à un sujet de faire quelque chose de nouveau mais, plus encore, transforme le discours et le langage en objets de réflexion et d’analyse. » (Olson 1998 p. 50)

89.

«  Pris dans leur ensemble, les processus psychiques constituent une unité complexe, structurelle et fonctionnelle orientée vers une solution du problème posé. Ils sont coordonnés, et au cours de l’activité, définis par l’instrument ; ils forment ainsi un nouveau complexe : l’acte instrumental » Vygotski in (Schneuwly, Bronckart, 1985 p. 43§11)

90.

Selon Marx, « Le moyen de travail est une chose ou un ensemble de choses que l’homme interpose entre lui et l’objet de son travail comme conducteur de son action. » Marx, K. op. cit. p. 181