Il est clair que la question de l'autonomie dans le champ de la pédagogie est soumise aux tensions de la dialectique des fins et des moyens de l'action éducative. Notre vigilance éthique devrait se porter sur la mesure de la justification des moyens mis en œuvre par le pédagogue, par les fins poursuivies. Nul éducateur ne conteste que l'autonomie du sujet est une des fins de l'éducation humaine, une des finalités de son action éducative. Le débat surgit dès qu'est abordée la question du choix de la stratégie efficace au développement de l'autonomie du sujet educandus. En d'autres termes, cela revient à spécifier ce qui caractérise le choix d'une pédagogie de l’autonomie Comme nous l’avons écrit [1991b, p 407] dans le cadre de l’expérimentation sur le travail autonome sur laquelle nous reviendrons plus loin, ‘« L’autonomie de tout jeune est une des finalités de l’action éducative. En apparence, cette notion n’engendre aucun clivage. Elle assure un large consensus, en particulier parmi les enseignants, malgré la multiplicité des conceptions éducatives. Aucun discours tenu n’est empreint d’une opposition évidente à cette finalité. Par contre, il n’en est plus ainsi lorsqu’il s’agit de la projection de cette finalité dans la pratique pédagogique. C’est alors qu’apparaissent les contradictions. Métaphoriquement, les positions oscillent entre tu iras à la piscine uniquement quand tu sauras nager et tu iras à la piscine pour apprendre à nager…’ » Aujourd’hui, nous dirions que la dernière position extrême serait plutôt je te jette dans la piscine pour que tu apprennes à nager, non exempte de l’injonction paradoxale je veux que tu sois autonome ! Nous avions aussi tenté de repérer le sens de l’expression être autonome le mieux partagé par le groupe des enseignants impliqués dans cette recherche-action, [1991b, p 407] ‘« c’est être capable à des degrés plus ou moins élevés :’
et que l’autonomie en pédagogie est conçue à la fois comme finalité et comme moyen.
Il y a quinze ans encore en première page du magazine du C.N.D.P. 106 , nous pouvions lire que ‘« ...l’apprentissage méthodique et rigoureux de l’autonomie dans l’acte même d’apprendre se désigne comme finalité principale des programmes et instructions des différents cycles d’enseignement’. »
Plus de dix ans après cette expérimentation Travail autonome, nous constatons combien pérenne est cette question, à en juger par les orientations déclarées au sujet des Travaux Personnels Encadrés en lycée parmi lesquelles nous lisons ‘« le développement de l'autonomie de l'élève.’» Dans le même temps, nous nous interrogeons sur la portée et l'impact des études-innovations 107 qui se succèdent, soutenues par l'Institution de l'Éducation nationale. À en juger par les propos 108 que suscitent chez les professeurs de mathématiques les T.P.E., nous constatons que l’unanimité à l’égard de la fin ne se retrouve plus dans les moyens pour développer l’autonomie de l’apprenant. Même si le discours pédagogique paraît maintenir l’idée de conduire à cette l’autonomie par l’action de l’individu régulée par les effets de son accomplissement, il demeure des pratiques qui se fondent, implicitement au moins, sur l’idée que l’autonomie n’est que l’effet de l’exercice de la raison, d’une formation de l’esprit et d’une culture intellectuelle sous la responsabilité d’un maître plus ou moins directif. En ce qui nous concerne, c’est à partir de l’idée d’un développement de l’autonomie par l’expérience même de sa pratique que nous avons conduit nos investigations dans les domaines pédagogique et didactique.
J. Leif 109 définit l’autonomie (Leif 1974) comme la capacité de l’être humain lui permettant de se déterminer selon les normes de sa propre réflexion et de sa propre volonté. Elle se manifeste par l’indépendance de la conduite, celle-ci étant régie conformément à des règles ou des impératifs que le sujet se donne à lui-même, par son libre choix. Notre conception de l'autonomie en tant que notion-outil de notre pratique théorique pédagogique, s'écarte de l'idée du ‘« si je veux, quand je veux, où je veux.’ » à laquelle une interprétation — peut-être abusive — pourrait conduire la définition de Leif. Notre conception est empreinte de celle qui caractérise la liberté de chaque être humain qui commence là où se termine celle d'Autrui. Si nous conservons la dimension d'un rapport personnel du sujet à la loi, que traduit l'étymologie grecque des deux composants : auto et nome (nómos — paroxyton), nous n'en écartons pas moins radicalement la perspective solipsiste en réaffirmant la dimension sociale et culturelle de la loi qui régit les rapports humains. En nous risquant à une autre interprétation étymologique, nous faisons alors référence à l'autre nomós — oxyton — qui renvoie à l'idée du partage. Ainsi, pour nous, l'autonomie est la synthèse d'une prise en compte personnelle d'une loi et de son partage avec la communauté humaine à laquelle le sujet appartient. Cette autonomie est acquise par le sujet humain au travers de son expérience sociale et culturelle réfléchie, mais surtout par l'éducation tant familiale que scolaire. Cette autonomie-là n'a rien d'instinctuelle comme serait celle qui permettrait à un individu de survivre dans une jungle. C'est l'autonomie qui permet à la fois de bien vivre soi-même et de bien vivre ensemble. C'est l'autonomie du sujet qui intègre circonstanciellement le guidage ou l'accompagnement d'autrui qu'il soit un pair ou un maître.
Dans notre posture de pédagogue posant cette autonomie du sujet comme une des valeurs de l'éducation et une des finalités de l'action éducative, il s'est agi alors de les traduire dans et par une pratique d'enseignement d'une discipline. C'est encore ce que nous avons cherché à traduire par formation à et par l'autonomie...
Dans le cadre intitulé Travail Autonome & Pédagogie de l’autonomie, le terme autonomie recouvre l’idée (Leselbaum 1982) ‘« d’apprentissages faits dans le cadre habituel ... en présence de l’enseignant, et dont le but est d’accroître progressivement les marges d’initiatives données aux élèves relativement à des prises de décision lors de la réalisation d’un travail’ ‘. »’ (Leselbaum 1982 p.11)
Cependant, force est de constater la relativité et la variabilité de cette capacité chez un individu en fonction du contexte et de l’époque de sa vie ou d’un état physique ou psychique. Les exemples abondent. Mieux vaut parler d’autonomie relative, c’est à dire de degré d’autonomie en relation avec un contexte et une conduite à adopter dans ce contexte.
Article TRAVAIL AUTONOME (février-mai 1986)
Et en particulier, celles auxquelles nous avons participé activement et à la diffusion desquelles nous avons contribué.
Bulletin BGV (93) juin 2000 – APMEP. P.8 nous pouvons lire « Dans les TPE, il y a la volonté de développer les travaux collectifs. (…) Dans cette innovation pédagogique, il y a trois intentions :
développer l’interdisciplinarité,
développer l’autonomie de l’élève,
permettre à l’élève de mobiliser sers connaissances lorsque c’est nécessaire et possible. »
in Philosophie de l’éducationTome 4 Delagrave 1974 p 31