éducation mathématique, éducation statistique

Notre intention reste ici encore de clarifier ce que nous entendons par éducation mathématique et éducation statistique. Dans un premier temps, nous souhaiterions y retrouver des caractéristiques de notre conception de l'éducation, en précisant toutefois que l'éducation mathématique et l'éducation statistique désignent à la fois un résultat actuel et une finalité du processus éduquer/éducation. Force est de constater qu'une requête au sein du corps du texte de l'Encyclopédie Universalis électronique (1998), s'est soldée par deux occurrences de éducation mathématique et aucune de éducation statistique ! Les deux occurrences ne fournissent par ailleurs aucune caractérisation.

Pour nous, l'éducation mathématique et l'éducation statistique représentent d'abord l'intégration des éléments que nous avons pointés précédemment  : une formation en mathématiques et en statistique, et une formation de l'esprit statistique. Certes, cette éducation-là est visée par l'action de l'enseignement, mais elle n'est pas le produit de cette seule action. De nombreuses autres situations dans divers contextes non-scolaires peuvent activer le processus d'apprentissage des sujets pour acquérir des connaissances, des compétences, des habiletés, des comportements propres à développer l'éducation mathématique et l'éducation statistique. Cependant il s'agit d'un produit en évolution permanente et par palier. Par exemple, la lecture d'un article de journal d'un quotidien régional peut constituer une telle situation ainsi que nous l'avons présenté dans le document [1997g].

D'un autre côté, il serait sans doute intéressant de conduire une analogie avec les autres expressions : éducation musicale, éducation artistique, éducation civique et éducation physique et sportive. Nous ne le ferons pas ici compte tenu des limites que nous nous fixons. En revanche, l'analogie de l'éducation musicale, nous suggère de revenir à la question de l'interprétation en statistique.

Pour reprendre l’idée exprimée par Brigitte Escofier et Jérôme Pagès (Escofier & Pagès 1990 p.217-218), nous caractérisons l’interprétation statistique selon trois directions :

Par ailleurs, la question de l’interprétation statistique surgit des interrogations qui émergent chez les étudiants dans le cadre de l'enseignement. Dès que le niveau de formation en statistique permet de maîtriser quelques-uns uns des outils conceptuels et techniques de base de la statistique dont nous essayons de rendre compte dans le document [1995g] Statistique et méthodes quantitatives  : objectifs de référence & information, surgit une série de questions chez les étudiants dont le filigrane est la question de l'interprétation des données recueillies et traitées. À l'aide du schéma ci-dessous, nous tentons de situer ce questionnement dans l'articulation générale du parcours de formation vers un niveau d'éducation statistique qui s'élève à chaque étape.

Comme il est possible de le constater dans les documents [1996e] et [1997i], les énoncés de situations problèmes proposés aux étudiants comportent un questionnement suggérant un traitement. La réalisation de ce traitement conduit à la mise en œuvre d'outils statistiques dont l'acquisition par les étudiants est visée par l'enseignant. Au fil des années, il nous est apparu la nécessité pédagogique d'introduire des questions plus réflexives afin de provoquer chez l'étudiant un changement de comportement dans le traitement. En effet, malgré notre choix d'un habillage re-contextualisant les outils conceptuels et techniques de la statistique, nous avons observé que les étudiants s'en tenaient à la mise en œuvre de ces outils. Par exemple, la question portant sur la moyenne et l'écart-type d'une variable quantitative n'obtenait que les valeurs mathématiques comme réponse issue des algorithmes de calcul, sans aucune re-contextualisation. À la question : quel est l'âge moyen de cet échantillon  ? Nous obtenions une réponse du type 15,5968777775555. Par ailleurs, les réactions spontanées manifestées par ces étudiants adultes face à ces énoncés de situations problèmes se traduisaient massivement par deux questions du type : que faut-il calculer ou tracer ? Ça sert à quoi de calculer un paramètre ou de tracer un graphique...? Nous avons alors introduit, de manière systématique, une question préalable sous la formulation  : de quoi s'agit-il  ? en présentant la lecture-compréhension des énoncés de situations problèmes par analogie à celle des articles scientifiques qu'ils ont à consulter. Puis pour chaque traitement, nous avons imposé qu'il se termine par une conclusion et une interprétation personnelle. Ces items sont aussi pris en compte dans l'évaluation finale comme le montrent les grilles d'évaluation qui accompagnent chaque énoncé de situation problème. C'est alors que le questionnement relatif à l'interprétation est explicitement apparu dans la mesure où nous avons été directement interpellé par les étudiants dans les cours sur les critères de réussite de cette tâche.

Les exemples par lesquels cette question de l'interprétation statistique est soulevée, abondent. Pour préciser notre pensée nous en rapportons quelques-uns uns :

évidemment, en présentant ainsi ces questions, cela donne le sentiment d'une interprétation réalisée pour elle-même sans mise en correspondance. Mais celles-ci nous ont été renvoyées par les étudiants dans le contexte de l'enseignement de la statistique ou encore dans le travail d'étude en maîtrise de sciences de l'éducation.

À ce jour, à partir des réponses fournies lors des épreuves d'examen, nous avons constitué un corpus de conclusions et d'interprétations dont la caractéristique dominante est le recours à une formulation naïve ou tautologique, souvent peu pertinente, parfois contradictoire. C'est dans ce corpus que nous puisons des exemples à partir desquels nous faisons travailler les étudiants. Ils seront aussi introduits dans les prochains livrets autocorrectifs que nous élaborerons.

C'est là aussi que nous avons perçu, une fois de plus, les limites de l'action d'enseignement. Comment enseigner l'interprétation statistique ? Il appert que cette question de l'interprétation est largement laissée à la charge de l'étudiant en comptant sur un travail autonome pour développer cette compétence. En restant dans une perspective d'enseignement, nous avons pris conscience de la difficulté à expliciter ce qu'était l'interprétation en statistique en dehors d'une approche empirique et praxéologique. Nous avons tenté une explicitation qui s'est limitée à une précision dans la grille d'évaluation.

Tableau 0 - 1 : explicitation conclusion/interprétation personnelle
Évaluation des items conclusion-interprétation
Conformément aux objectifs visés en cours, l'item «conclusion» correspond à deux niveaux
niveau 1
(représenté par le point de vue «résultat»)
de la conclusion correspond à une description lisible et bien rédigée des résultats obtenus dans les traitements abordés. Ces résultats sont rapportés dans le contexte de la situation problème. (Par exemple  : les nombres sont donnés dans un ordre de grandeur compatible avec le contexte, avec leurs unités ou encore les modalités sont explicitées en clair...)
niveau 2
(représenté par «raisonnement»)
correspond à un énoncé d'une interprétation personnelle fondée sur les résultats de l'étude et exprimée de façon pertinente.

Si pédagogiquement nous avons pu fournir une réponse circonstanciellement adaptée, elle ne nous a pas vraiment satisfait. Nous pensons cependant que la formation à l'interprétation instrumentée doit être intégrée aux objectifs de l'enseignement de la statistique. Mais elle ne peut se réaliser que par l'activité même d'interprétation étayée par une formation en statistique au sein d'un groupe pour utiliser la confrontation des points de vue. En effet, nous pensons que la compétence d'interprétation se développe, chez le novice, sous l'effet de confrontations de points de vue à la fois avec ses pairs et avec des experts. Une situation d'enseignement-apprentissage pourrait être conçue sur la base de la mise en action du conflit socio-cognitif. Dans une perspective vygotskienne, pour organiser des situations sociales favorables au développement de la compétence à l'interprétation statistique, la question demeure du repérage de la zone du proche développement.

Toutefois, au-delà de ces questions pédagogique et didactique, demeure une autre question : à quelle théorie de l'interprétation peut-on rattacher l'interprétation statistique ?

Tout d'abord, nous distinguons, d'une part, le modèle T construit pour étudier un certain phénomène et qui relève la plupart du temps d'un autre domaine que celui de la statistique ; d'autre part, le modèle statistique S adéquatement construit pour être intégré au modèle T. Le modèle S est inscrit dans une approche du type de la modélisation mathématique, à partir des outils conceptuels, techniques et méthodiques de la statistique. Sa fonction peut être descriptive ou heuristique, en référence à la statistique descriptive et exploratoire, estimative, ou alors de tester des hypothèses, en référence à la statistique inférentielle de l'estimation et des tests.

La première étape de l'interprétation statistique conduit à ce que nous nommons une conclusion, c'est à dire une ou plusieurs propositions énoncées en langage naturel en référence dominante au système formel représenté par le modèle S, et en référence secondaire au contexte déterminé au travers de l'habillage représenté par le modèle T.

La question se porte alors, d'une part, sur la valeur de vérité de la ou des propositions qui forment cette conclusion, en référence au modèle S. La valeur vraie est celle de la logique mise en œuvre en mathématiques. Elle se porte, d'autre part, sur les valeurs de pertinence et de cohérence de cette conclusion en référence au modèle T.

La seconde étape de l'interprétation statistique conduit à ce que nous nommons une interprétation personnelle, c'est à dire un texte — court dans le cadre de l'enseignement mais qui peut être long dans le cadre d'un mémoire de maîtrise — énoncé en langage naturel établissant une correspondance entre la conclusion — en tant que texte vrai, pertinent et cohérent — et le phénomène étudié représenté par le modèle T et son cadre théorique de référence.

La question se porte alors sur les valeurs de validité, de pertinence et de cohérence de cette interprétation personnelle instrumentée.

Du point de vue de l'enseignement, dans l'aide à l'acquisition et au développement de la capacité d'interprétation statistique, si l'évaluation de la valeur de vérité en référence à la logique mathématique, nous semble assez aisée, il n'en est pas de même en ce qui concerne l'évaluation des valeurs de validité, de pertinence et de cohérence. Du point de vue praxéologique, cette évaluation nous paraît surtout être régulée par une théorie-en-acte (voir note ) de la pertinence et de la cohérence, qui s'apparenterait plutôt à une approche pragmatique. Dans l'énoncé même de nos objectifs de formation en statistique, nous justifions cette activité de l'interprétation statistique, par sa double fonction de traitement de l'information et de communication des textes que les étudiants sont amenés à produire ainsi.

En ce qui nous concerne, nous n'avons été plus loin à ce jour dans cette théorisation qui soutiendrait l'enseignement de l'interprétation statistique.

Nous aimerions pourtant aller plus loin, en particulier, dans l'articulation d'une conception de l'interprétation comme reconnaissance de forme et qui solliciterait plutôt l'éduction, et comme élaboration de connaissances nouvelles mobilisant plutôt la déduction et l'induction. En effet, d'un point de vue praxéologique, l'action d'enseigner l'interprétation statistique ne peut se réaliser en s'inscrivant dans une ligne théorique fixe déterminée par une théorie de l'interprétation, comme cela peut être le cas dans une perspective de recherche. Toutefois nous aurions sans doute à tirer un bénéfice d'une étude de l'enseignement de l'interprétation psychanalytique instrumentée des rêves  : comment acquiert-on la compétence à interpréter les rêves dans le cadre de la formation en psychanalyse  ?