Dans quels buts et pour quelles raisons un enseignant peut-il faire pratiquer l’auto-évaluation à un apprenant ?

En écho à ce que nous avons déjà écrit, nous pouvons identifier deux intentions pédagogiques dominantes :

  • celle de permettre à l’apprenant de recueillir par lui-même et pour lui-même des informations qui le guideront dans son apprentissage, l’aideront à réguler son action d’apprendre, lui permettront d’améliorer l’état de ses connaissances.
  • celle de permettre à l’apprenant de développer son autonomie à l’égard de l’enseignant et à l’égard des connaissances du domaine disciplinaire.

Un article de la revue de l’ADMEE 150 est consacré à un débat sur l’auto-évaluation. On y affirme qu’en tant que prise d’information qui permet une régulation de l’action, l’auto-évaluation est un processus cognitif qui intervient dans l’autoguidage de toute conduite. Pour notre part, admettant ce point de vue, nous sommes amené à conjecturer que l’auto-évaluation est un des déterminants du développement cognitif individuel et que développer la capacité à s’auto-évaluer revient développer un des déterminants de la capacité d’apprendre.

Du compte rendu du débat, nous pouvons retenir ce qui a concerné les processus cognitifs en jeu dans une pratique d’auto-évaluation. En général l’enseignant explicite le plus précisément le référentiel et le communique à l’apprenant qui est amené à confronter deux ensembles d’information. Dans ce cas, l’auto-évaluation ne semble solliciter que des processus cognitifs de compréhension et de comparaison d'informations. Mais alors demeure le problème de l’appréhension de ce référentiel par l’apprenant, de la compréhension des critères et de l’estimation correcte des seuils minima de réalisation. Une recherche conduite par Laveault et Fournier 151 tente d’articuler les processus d’anticipation 152 , de préparation et d’auto-évaluation dans le cadre de la préparation d’un examen de fin d’école secondaire au Canada. Mettant en évidence l’importance de l’anticipation des exigences dans la mesure où elle conduit à une meilleure préparation de l’épreuve d’évaluation. Par ailleurs ces chercheurs constatent que s’ils n’établissent pas de véritable relation entre l’auto-évaluation se produisant au moment de l’épreuve et l’anticipation, l’auto-évaluation est fortement liée à la performance à l’examen. Il y aurait alors à considérer l’anticipation par l’apprenant d’une part des attentes et des exigences de l’enseignant et d’autre part de ses propres buts et attentes et de son action comme étape préliminaire à toute auto-évaluation. Il ressort de ces travaux que l’auto-évaluation peut être placée au cœur même des processus de régulation d’un apprentissage. Laveault affirme ‘« Pour être en mesure de savoir s’il n’a pas compris, de connaître s’il est encore loin de la solution, d’évaluer si la stratégie utilisée est la bonne ou de décider s’il a besoin d’aide ou d’informations supplémentaires, de choisir entre plusieurs parties de la matière à préparer, l’étudiant doit être en mesure de surveiller ses propres mécanismes cognitifs (...). La surveillance par l’apprenant de ses propres processus d’apprentissage exerce une influence sur leur prise de conscience et leur fonctionnement c’est (ce à quoi s’intéresse) la métacognition.’ »

Dans une recherche 153 portant sur les croyances reliées à l’évaluation des apprentissages, France Fontaine et Michel Trahan identifient deux grandes sous-catégories de croyances à l’égard de l’auto-évaluation de l’apprenant à l’école primaire. Le premier groupe de croyances s’articule autour de l’importance et de l’utilité de l’auto-évaluation, l’élève doit apprendre à identifier ses forces et ses faiblesses, tandis que le second s’articule autour de la possibilité/impossibilité de l’auto-évaluation à l’école primaire, l’élève est trop jeune pour arriver à identifier ses forces et ses faiblesses.

Deux études que nous avons dirigées, conduites par des institutrices sur la thématique de l’auto-évaluation à l’école maternelle, renforcent l’importance et l’utilité de cette pratique. Marielle Mahieux-Duportal (Mahieux-Duportal 1993) 154 parvient, sur la base des résultats de son expérimentation, à la conclusion suivante assortie des précautions d’usage relatives à la généralisation ‘« L’auto-évaluation (…) semble possible et organisable avec des enfants de 4 à 6 ans. Pour chacun d’eux, elle nous a semblé intéressante de mettre en place, puisque tous ont plus évolué lorsqu’ils s’étaient auto-évalués (…). Cependant il serait utile de se poser la question du degré d’autonomie nécessaire à ce travail et à cet âge là ; est-ce une question de maturité ? Tout particulièrement, pour trois des enfants : Aurélie, Chloé et Cindy, l’auto-évaluation a été extrêmement positive et leur a permis d’acquérir certaines compétences une fois qu’elles ont fonctionné en auto-évaluation, prenant ainsi chacune, une dose importante de confiance en elle.’ » Elle ajoute que, quand bien même les résultats pourraient être rediscutés en fonction des critères de l’expérience conduite et des difficultés de mise en place du dispositif, quelques effets bénéfiques ont pu être repérés :  ‘« ’

  • ‘Les enfants ont appris à se donner une représentation de la complexité de la tâche’ ‘ d’apprendre, ce qui a amené une motivation énorme ou, à l’inverse, une démotivation mais qui, dans tous les cas, est restée temporaire.’
  • ‘Ils ont pris conscience de certaines de leurs performances surtout dans le cadre du graphisme et du livret d’EPS’
  • ‘Le plaisir pris par l’ensemble des individus dans le fait de sentir son propre pouvoir sur son apprentissage a été croissant’ »

Les investigations de Corinne Sonnier-Rousset (Sonnier-Rousset 1995) 155 dans sa classe lui permettent d’aller dans le même sens. Elle conclut que ‘« l’auto-évaluation apparaît bien possible dès l’école maternelle. On peut effectivement organiser avec des enfants d’âge préscolaire des activités auto-évaluatives. Elles fonctionnent bien et, de surcroît, aident les enfants à connaître ce qu’ils font, pourquoi ils le font, comment ils le font. L’auto-évaluation favorise la prise de conscience des performances, des progrès effectués et contribue à mobiliser l’énergie de l’apprenant.(…) Les pratiques auto-évaluatives s’offrent comme une stratégie possible d’enseignement dans la mesure où elles développent des compétences qui pourront ensuite être mises à profit pour tout apprentissage ultérieur. Ces compétences génératrices d’apprentissage’ ‘ 156 ’ ‘ donnent, à l’enseignant, la possibilité de rendre l’enfant plus autonome. »’

Dans une autre recherche (Duboux 1992) 157 que nous avons encadrée et qui porte sur l’auto-évaluation et la motivation pour les mathématiques, Marc Duboux a tenté de mettre en évidence en quoi la pratique auto-évaluative est une démarche favorisant la motivation des apprenants pour les mathématiques. Le dispositif pédagogique qu’il a mis en place dans la classe 158 reprenait celui que nous avions développé dans notre ouvrage [1991a]et son fonctionnement s’est étalé de septembre à mai de l’année scolaire. Une première analyse des observations et des données recueillies n’a pas permis de vérifier en quoi l’auto-évaluation est vraiment un instrument motivationnel ou même une motivation à part entière, compte tenu du fait qu’elle a été articulée à des pratiques de travail autonome et de pédagogie de contrat. Malgré des difficultés méthodologiques posées par le fait d’être à la fois professeur-stagiaire et chercheur-impliqué en situation de formation professionnelle, qui n’ont pas permis de pousser au maximum la mise en œuvre du dispositif pédagogique, Marc Duboux affirme que ‘« l’auto-évaluation aura permis aux enfants de s'arrêter au moins une fois pendant leur cursus scolaire afin de réfléchir sur eux-mêmes, de s’analyser et de prendre conscience des motivations de leur comportement - notamment en mathématiques.’ » et il ajoute que les témoignages apportés en complément par les élèves vont dans le sens que le dispositif pédagogique les a motivés pour agir en mathématiques.

Signalées par Jean-Marie Barbier (Barbier 1985) des recherches portant sur l’auto-évaluation par les formés dans leurs propres activités ont montré, d’une part, que l’attitude du sujet envers une tâche se modifie lorsque, après l’avoir commencée, il procédait à une auto-évaluation et même, d’autre part, que les sujets étaient davantage motivés pour reprendre leurs tâches ou pour entreprendre d’autres plus difficiles. Signalés par Nelly Leselbaum, les travaux de Maehr et Stallings 159 conduisent à l’observation que la comparaison des effets de l’auto-évaluation et de l’hétéro-évaluation souligne un accroissement de la motivation des élèves et un intérêt plus grand pour les tâches difficiles - quand l’auto-évaluation est pratiquée - tandis que le développement des performances et des compétences des élèves ne présente pas de différence significative. Ceux de Heidt 160 conduisent à la remarque que les recherches qui concernent les méthodes de projet et de contrat (enseignant/enseigné) soulignent toutes le besoin de l'élève de participer à l’évaluation de son travail et montrent que cette participation augmente la motivation des élèves à réaliser les tâches difficiles et à maintenir à long terme les effets de cet apprentissage. Enfin les études de Mac Laughlin 161 nous fournissent deux informations qui ne concernent pas directement la motivation mais les limites qui nous devrions encore étudier des pratiques auto-évaluatives. Ce dernier affirme que d’une part les élèves qui pratiquent l’auto-évaluation ont tendance à surestimer leurs performances et abaissent progressivement le seuil des normes requises et les niveaux d’attente afin d'obtenir de meilleures notes et appréciations, que d’autre part les élèves doivent avoir des apprentissages antérieurs, une aide et un guidage structurels pour être conduits ensuite progressivement à des situations où ils sont personnellement capables d’organiser les conditions externes de leurs apprentissages (choix de thèmes de travail ou de documents) et d’évaluer leurs propres performances.

Les travaux développés autour du thème de l’évaluation formatrice 162 partent des présupposés que l’appropriation par les apprenants des critères des enseignants, l’autogestion des erreurs, la maîtrise des outils d’anticipation et de planification de l’action constituent des objectifs prioritaires. De là l’apprentissage de l’auto-évaluation doit prendre une place importante dans un dispositif pédagogique adapté au sein duquel l’auto-évaluation correcte devient une compétence primordiale, une habileté à construire. L’autocontrôle y est vu comme une composante naturelle de l’action en considérant qu’une “instance évaluative” est présente en chacun de nous qui nous permet de conduire notre auto-évaluation. Considérant que, dans la construction des concepts, les phases de verbalisation revêtent une importance particulière, l’efficacité de l’auto-évaluation dans les apprentissages tient alors à la verbalisation interne qu’elle impose.

Cette thématique reste d’actualité à en juger, d'une part, par la publication de l'ouvrage organiser la formation  : le pari sur l'auto-évaluation (Vial 2000) et par le compte rendu 163 d’un article 164 récent de J. Kruger et D. Dunning, que l’auteur intitule Difficile de s’auto-évaluer ! . Le résultat majeur de l’expérience conduite par ces deux psychologues américains est que ‘« moins on a de compétences dans un domaine donné, moins on se rend compte qu’on est incompétent. »’

Notes
150.

Association pour le Développement de la Mesure et de l’Évaluation en Éducation, colloque 1988

L’auto-évaluation en question(s) , Propos pour un débat, Mesure et Evaluation en Education vol 13 n° 3 1990 pp 5-26

151.

Evaluation fondée sur le objectifs: une approche métacognitive, colloque ADMEE, Bruxelles, 1988

152.

anticipation conçue comme un mouvement de la pensée qui imagine ou vit d’avance un événement. Dans le contexte d’une situation de formation / évaluation, elle consiste à imaginer les exigences précises de l’enseignant au moment de l’évaluation.

153.

Analyse du domaine des croyances reliés à l’évaluation des apprentissages, Mesure et Evaluation en Educationvol 13 n° 1 1990 pp 5-28

154.

Mahieux-Duportal , M.,(1993) Étude de la mise en place, dans une classe de maternelle et avec des enfants de 4 à 6 ans, d’un dispositif auto-évaluatif et de ses effets sur les apprentissages, mémoire de licence de sciences de l’éducation dirigé par JC Régnier, Université Lyon2, 39p + annexes

155.

Sonnier-Rousset, C., (1995) L’auto-évaluation à l’école maternelle, mémoire de licence de sciences de l’éducation, dirigé par JC Régnier, Université Lyon2, 45p + annexes

156.

Durif, D., (1989) Concevoir sa classe, une aide aux apprentissages, Paris : Coli, p. 119

157.

Duboux, M., (1992) L’auto-évaluation, instrument de motivation pour les mathématiques, Marc Duboux, mémoire professionnel sous la direction de Jean-Claude Régnier, soutenu à l’IUFM de Bourgogne 55 p & annexes

158.

une classe de seconde dont il a eu la responsabilité lors de son stage pédagogique durant l’année 1991/1992.

159.

Freedom from external evaluation M.C. Maehr, R. et W.M. Stallings 1972 cité p.10 dans Autonomie et Auto-évaluation - Economica -1982

160.

rapport écrit pour l’UNESCO -1979- Auto-évaluation et apprentissage - Erhard U. Heidt pp 40-44 cité page 13 dans Autonomie et Auto-évaluation - Economica -1982

161.

Self-control in the classroom, Mc Laughlin, Review of Educational Research, 4, 1976 pp 648-652 cité page 10 dans Autonomie et Auto-évaluation - Economica -1982

162.

Nunziati, G., Pour construire un dispositif d’évaluation formatrice, in Cahiers pédagogiques n°280- janvier 1990 pp 47-64

163.

Difficile de s’auto-évaluer ! Sciences Humaines n°104, avril 2000, p. 14

164.

Kruger, J., Dunning, D., Unskilled and unawareof it : How difficulties in recognizing one’s own incompetence lead to inflated sel-assessments, Journal of Personality and Social Psychology, décembre 1999