Retour sur des données de terrain

Nous mettons à profit le travail de rédaction de cette note de synthèse, pour exploiter des données que nous avions stockées les deux dernières années d’enseignement en lycée. Celles-ci touchaient aux représentations que les élèves de la classe de seconde dans laquelle nous avions conduit tout à la fois un enseignement de mathématiques et des investigations sur le thème de l’auto-évaluation durant ces années 88/89 et 89/90.

Ces données avaient été recueillies au moyen d’un questionnaire remis à chaque élève de la classe en fin d’année scolaire après le conseil de classe, auquel il devait répondre par écrit. Ici nous nous limitons aux cinq questions suivantes :

Tableau 0 - 5  : Extrait du questionnaire remis aux élèves de seconde en fin d’année scolaire.

- (Q2) Au collège avais-tu été amené à auto-corriger ...ou auto-évaluer ... ?
- (Q3) Penses-tu que les capacités à s’auto-corriger et à s’auto-évaluer doivent être développées à l’école ? Pourquoi ? et si oui comment ?
- (Q4) Selon toi le travail mené ... te paraît-il avoir favorisé le développement de ces capacités ? Pourquoi ?
- (Q5) Selon, lorsque l’auto-évaluation s’appuie sur un test ... penses-tu que ton jugement relatif à la validité de ta production est ... ?
- (Q6) Selon toi, quels aménagements proposerais-tu ... ?

Les résultats que nous obtenons donnent :

Nous avions posé la question (5) pour nous indiquer les représentations qu’ont les élèves de la pertinence et de la fiabilité de l’auto-évaluation sous certaines contraintes.

Tableau 0 - 6 Résultats relatifs à la représentation de la fiabilité du jugement
Selon toi, lorsque l’auto-évaluation s’appuie sur un test tel que les tests finaux rencontrés tout au long de l’année en mathématiques, penses-tu que ton jugement relatif à la validité de ta production est ... ?
code modalité de la réponse réponses de la classe 88/89 réponses de la classe 89/90
+ + tout à fait fiable et pertinent 2 4
+ plutôt fiable et pertinent 22 24
- plutôt non fiable et non pertinent 2 3
- - pas du tout fiable et pertinent 1 1

Ces résultats montrent qu’une grande majorité d’élèves a une représentation qui attribue pertinence et fiabilité aux jugements qu’ils sont amenés à porter par la pratique de l’auto-évaluation dans ce dispositif pédagogique

Rapportons maintenant quelques arguments associés à la réponse à cette question et ceux donnés en complément sur les aménagements sollicités par la question (6).

Pour compléter cet apport concernant les représentations que les apprenants peuvent avoir de l’auto-évaluation à l’issue d’une année scolaire durant laquelle ils ont travaillé dans un dispositif pédagogique qui intégrait des pratiques autocorrectives et auto-évaluatives, nous rapportons une synthèse des réponses de deux élèves Marielle G. (1989) et Brahim B.(1989) :

Pour Marielle, ‘«jamais’» par le passé, elle n’avait été confrontée à des pratiques auto-évaluatives. ‘« Aucune autonomie n’est imposée au collège. Arrivée au lycée, j’avais pris l’habitude à ce que tout me soit servi dans un plat et la brusque autonomie que nous laissent les profs, m’a fait plonger dans un certain laisser-aller’ ». Marielle considère cependant que les capacités d’autocorrection et d’auto-évaluation doivent être développées à l’école ‘« pour apprendre à s’estimer correctement ’» en procédant ainsi ‘« dans chaque matière, il faudrait remettre aux élèves une grille (d’évaluation) similaire à celles que l’on a en maths afin qu’ils notent leurs devoirs en fonction de leur réussite. Puis on comparerait la note à celle que le professeur attribue et il n’y aurait plus de sous-estimation ou de surestimation en entrant au lycée ’». Elle déplore que le travail conduit en mathématiques n’ait pu pour elle favoriser le développement de ces capacités car ‘« la trop brusque autonomie de cette année m’a poussée au laisser-aller ’». C’est pourquoi elle estime le jugement relatif à la validité de la production porté par elle-même en relation avec les tests n’est pas du tout fiable et pertinent en raison de ‘« l’incompréhension et du laisser-aller’. » Ainsi elle propose les aménagements suivants ‘« Il faudrait apprendre aux élèves des collèges à avoir une certaine autonomie, mais petit à petit. D’une année sur l’autre, je suis passée du bébé à qui on mâche la bouillie à quelqu’un qui devait tout faire lui-même. Je n’ai pas su m’organiser, j’ai pédalé et j’ai tout laissé tomber. ’»

Pour Brahim, ‘« non, jamais’ » il n’avait pratiqué l’auto-évaluation au collège. Il pense que ces capacités doivent être développées ‘« par des exercices tels que nous les avons faits en classe MAIS ceux-ci ne doivent pas simplement se ramener au fait de mettre une croix dans une case comme cette année’ ». Il estime que le travail a favorisé le développement ‘« car maintenant je pourrais à la limite me passer du professeur si l’on me fournit des documents donnant des objectifs clairs (type fiche guide...) »’

Brahim pense que « son auto-évaluation est tout à fait fiable et pertinente car elle repose sur un jugement fondé sur une déduction à partir d’un questionnement clair tel que :

-ai-je bien répondu ? -mon résultat semble-t-il logique ? - mon raisonnement utilise-t-il un théorème ou une définition apprise en cours ?

qui le guide. » et il ajoute en ce qui concerne les aménagements qu’» il faudrait que l’auto-évaluation soit plus systématique et que cette auto-évaluation parte d’objectifs communs définis ensemble pendant un cours en consacrant un cours à l’auto-évaluation où un débat aurait lieu. »

Avec dix années de recul, nous avons le sentiment que ces témoignages sont à considérer avec une attention particulière dans les investigations futures. Ils illustrent en même temps la permanence et la récurrence des thèmes évoqués dans les autres travaux dont nous avons parlé : la dimension sociale, la co-évaluation, l’incertitude de l’évaluation, les risques...