D’une manière ou d’une autre, nous ne pouvons échapper à la question portant sur la formation à l’auto-évaluation. Comme nous l’avons déjà vu dans les parties précédentes, il est admis que les capacités d’auto-évaluation et d’autocorrection se développent sous l’influence de l’acquisition de connaissances, d’outils conceptuels et matériels, de méthodes, d’habitudes et d’habiletés variées. Les compétences à s’auto-évaluer et à s’auto-corriger s'acquièrent progressivement tout au long de la vie. Reste à savoir dans quelle mesure ce développement fondé sur l’acquisition de divers éléments est favorisé par l’apprentissage ? et mieux encore dans quelle mesure cet apprentissage à l’autocorrection et à l’auto-évaluation peut être favorisé par l’enseignement ? C’est dans cette perspective que nous nous sommes posé la question de la formation à l’auto-évaluation pour laquelle nous n’avons à ce jour que des réponses partielles [1986b] 165 . Notons d’ailleurs qu’user du terme compétence comme capacité à juger le résultat de l’application des connaissances dans une situation donnée, intègre des éléments évaluatifs donc implique de reconnaître d’une manière presque dialogique 166 la nécessité du développement de la capacité d’auto-évaluation.
Ici nous avons adjoint au terme auto-évaluation le qualificatif pertinente 167 . Celui-ci pris dans le sens habituel de « qui convient exactement à l’objet dont il s’agit » ou dans le sens scientifique de «qui est propre à rendre compte de la structure d’un élément ou d’un ensemble» renvoie à l’idée d’accroître chez l’auteur de l’auto-évaluation le niveau d’exigence dans la mise en œuvre de ce processus certes en valorisant ses qualités de rigueur et d’honnêteté intellectuelle mais en valorisant aussi sa capacité à bien rendre compte de l’objet qu’il évalue malgré la relation singulière qu’il entretient avec ce dernier. Plus précisément la question que nous préférons est :
De façon générale, il nous paraît difficile d’aborder une question de formation sans référence à un contexte. C’est pourquoi nous conjecturons la possibilité d’une formation à l’auto-évaluation pertinente mais en faisant choix du cadre d’un enseignement disciplinaire au sein duquel des pratiques autocorrectives et auto-évaluatives vont pouvoir se manifester. C’est en quelque sorte une première condition de réalisation de cette formation D’autres conditions paraissent requises que nous allons évoquer. La seconde est que cette formation requiert un dispositif pédagogique intégrant une ingénierie didactique adéquate. Jean-Marie De Ketele précise d’une certaine manière ce dispositif quand il écrit (De Ketele 1980‘)» on considère trop souvent l’auto-évaluation comme un moyen d’évaluation. (Elle) doit être considérée comme objectif général de tout processus éducatif. Cela suppose qu’elle soit fréquemment mise en pratique’ 168 . » Ce dispositif est donc organisé en fonction d’objectifs terminaux parmi lesquels nous comptons les compétences à s’auto-évaluer et à s’auto-corriger Pour Jean-Jacques Bonniol 169 , la compétence à s’auto-évaluer paraît indissociable de celle à analyser les situations. Il considère la mise en place de démarches d’auto-évaluation des processus dans un dispositif pédagogique comme une condition pour que les individus apprennent à anticiper, à autoréguler leur action, à devenir vraiment autonomes dans la mesure où ils sauraient transférer les processus à des situations diverses. S’il paraît difficile d’établir les étapes effectives d’un apprentissage à s’auto-évaluer et s’auto-corriger et par conséquent de bâtir des situations d’enseignement, il n’en reste pas moins que nous conjecturons l’efficacité d’une démarche proposant au début, à l’apprenant, un étayage fort médiatisé par une instrumentation externe construite et fournie par l’enseignant, puis diminuant progressivement l’importance du guidage à mesure que l’apprenant intègre les procédures et assume la charge de se construire ses propres instruments.
Nous pensons aussi à d’autres conditions comme la prise en compte :
Par exemple, nous pensons au lien qui peut exister entre la marge d’initiative laissée à l’individu dans son cadre familial et les pratiques auto-évaluatives mises en œuvre dans les situations didactiques. Nous pensons aussi à la représentation sociale du rôle de l’enseignant dans l’école, que l’apprenant s’est construit, et pour qui c’est à l’enseignant qu’il revient l’exclusivité de corriger et d’évaluer.
Par exemple, il s’agit que nous soyons en mesure de bien cerner les processus cognitifs en jeu dans une démarche d’auto-évaluation et ceux en jeu dans la logique de la discipline.
Par exemple, il s’agit que nous soyons en mesure de repérer des variables affectives telles que le goût de l’apprenant pour le champ disciplinaire, son rapport affectif au savoir, son envie/désir d’apprendre, son degré d’aspiration à l’autonomie, son degré de confiance à l’égard de l’enseignant ou le degré de confiance de l’enseignant à l’égard de l’apprenant, l’étendue du champ de cette confiance, etc., et des variables motivationnelles et d’en bien cerner l’influence sur le processus cognitif d’auto-évaluation.
Par exemple, il s’agit que nous soyons en mesure de bien cerner les places et rôles respectifs de l’enseignant et de l’apprenant dans la détermination des objectifs et des critères d’évaluation.
Par exemple, il s’agit que nous soyons en mesure de bien cerner l’influence des styles cognitifs. Nous nous intéressons particulièrement aux deux styles : dépendance-indépendance à l’égard d’un champ selon Herman Witkin et Michel Huteau et impulsivité/réflexivité selon Jérôme Kagan, à partir desquels nous avons ouvert des travaux dont une étape a été présentée [1995e] au PME 1995 au Brésil et publiée [1995d]. Leurs rôles dans la prise d’initiative et dans la prise de décision qu’imposent les pratiques autocorrectives et auto-évaluatives, nous paraît déterminant. Ceci constitue une des pistes de recherche que nous souhaitons poursuivre.
Par exemple, il s’agit que nous soyons en mesure de bien cerner l’influence d’événements particuliers dans la résistance à la pratique auto-évaluative ou encore en quoi l’histoire personnelle de l’apprenant peut constituer un levier pour le développement de cette capacité.
Par exemple, il s’agit de voir dans quelle mesure l’enseignant délègue à l’apprenant une part de pouvoir dans la détermination des objectifs, des critères d’évaluation et des stratégies d’enseignement-apprentissage ou encore dans les stratégies de résolution de problème et même dans l’apport de situations problèmes du domaine disciplinaire au sein de la classe.
Le dispositif pédagogique que nous avons élaboré et mis en œuvre en classe de seconde de lycée dans le cadre de l’enseignement des mathématiques constitue une concrétisation de ces points de vue. C’est ce qui a fait l’objet de la publication [1991a] prise en charge par la DLC. Celui que nous essayons de construire actuellement dans le cadre d’un enseignement universitaire de statistique s’inscrit dans la poursuite d’objectifs analogues. Les publications [1994c] [1994d] [1995a] [1995b] [1995g] [1996a] [1996e] destinées principalement aux étudiants du cours de méthodes quantitatives ont été réalisées dans ces perspectives didactiques et pédagogiques. Nous présentons le livret [1994d p. 5-6] en ces termes : ‘« Le document autocorrectif et auto-évaluatif qui suit, vous offre l’occasion de réaliser un repérage de vos compétences dans le domaine de la statistique. Si vous parvenez à la conclusion que vous maîtrisez convenablement les techniques, les démarches et les concepts requis, il vous reste à poursuivre votre chemin vers d’autres nouveautés. Sinon, il y a lieu de considérer que cet obstacle’ ‘ est à franchir. Convenons cependant que rien ne peut justifier objectivement qu’il vous soit insurmontable. ’
‘Certes l’acquisition de nouvelles connaissances en statistique est souvent coûteuse. Elle demande du temps et parfois beaucoup d’investissement affectif. Elle implique un double mouvement d’assimilation de l’objet d’apprentissage et d'accommodation à l’objet d’apprentissage qui fait que nous ne sommes plus tout à fait le même individu à l’issue du parcours. Cette nécessaire transformation n’est pas sans générer une certaine anxiété face à cet inconnu. Mais au bout de ce parcours, c’est aussi le plaisir de la connaissance que vous pouvez trouver. ’
‘L’acquisition de ces nouvelles connaissances implique aussi la mise en situation didactique avec la médiation d’outils d’aide. Ce document parmi d’autres en constitue une concrétisation. Il est à considérer comme un outil de médiation entre vous et le savoir statistique. Dans son orientation autocorrective et auto-évaluative, nous souhaiterions qu’il soit un guide vers la connaissance de l’objet, qu’il soit plus un outil d’enseignement qu’un outil de jugement. ’
‘Nous sommes aussi convaincu qu’il ne peut y avoir apprentissage sans production d’erreurs dont la rectification engendre la connaissance nouvelle. Cette rectification requiert des activités métacognitives mobilisatrices de connaissances sur l’utilisation des connaissances statistiques. Or ce document conçu pour vous inciter à une prise de distance par rapport à votre action en vue de l’analyser devrait faciliter ces activités. Ainsi dans cette voie, nous pensons que puissent être trouvés les éléments pour une connaissance sereine. ’
‘Enfin la situation problème proposée offre une approche que nous considérons comme transférable à de nombreuses problématiques plus réelles abordées dans des recherches en éducation. C’est d’ailleurs cette activité de transfert qui vous permettra plus que les grilles d’auto-évaluation, de vous assurer que vous avez appris de la statistique.’ »
Notre mémoire de DEA en sciences de l’éducation.
au sens donné par Edgar Morin : principe dialogique
notre choix est sans doute à rapprocher de l’idée d’auto-évaluation correcte évoquée dans l’évaluation formatrice.
De Ketele, J.-M. (1980) Observer pour éduquer , Berne : Peter Lang p 45
L’auto-évaluation en question(s) , Propos pour un débat p 18 op. cit.