L’auto-évaluation... dans quels dispositifs pédagogiques ? avec quelles séquences didactiques ?

Pour répondre à ces questions, nous puisons dans notre expérience d’enseignement des mathématiques au lycée et celui de la statistique en licence et maîtrise de sciences de l’éducation.

En premier lieu, au lycée...

Les quelques documents rapportés ici sont extraits de l’ouvrage [1991a] et visent à illustrer la mise en pratique d'une pédagogie de l’autonomie dans le cadre de l'enseignement des mathématiques en classe de seconde sur une période allant des années 1975 à 1990. Au fil des années, l'évolution de nos propres conceptions a engendré une transformation progressive de ces instruments pédagogiques et didactiques. Cependant leur élaboration a résulté de la conjonction de plusieurs souhaits personnels :

  • du point de vue des élèves dont nous avions la responsabilité, leur rendre plus intelligible une pratique pédagogique en mettant à plat par écrit nos intentions et nos objectifs didactiques.
  • de notre point de vue d'enseignant, nous permettre de prendre une distance par rapport à notre propre pratique pédagogique au travers de l'effort de clarification de nos propres intentions.
  • du point de vue d'autres enseignants ou d'autres personnes concernées, leur rendre intelligible une pratique pédagogique avec l'appui de quelques-uns uns des outils du dispositif.
  • du point de vue scientifique, mettre à plat les éléments les plus accessibles à l'observation et l’analyse d'une pratique pédagogique afin d'engager une théorisation à partir d’une explicitation des ‘« savoirs d’action’ » (Barbier 1996) considérant avec Gérard Vergnaud qu’ ‘» au fond de l’action’ », opère et se développe ‘« la conceptualisation’ » (Vergnaud 1996).

Notons que, dans tous les cas, il s’agissait, pour nous, de parvenir à des énoncés donnant lieu à communication ; c’est à dire pour espérer produire des énoncés qui acquièrent un statut de savoirs. En restant dans la perspective adoptée par Jean-Marie Barbier dans l’ouvrage Savoirs théorique et savoirs d’action (Barbier 1996 pp. 1-17), un travail important reste à faire pour passer au crible du modèle proposé notre pratique pédagogique en vue de repérer le statut des énoncés que nous produisons. Ce modèle distingue des énoncés de type ‘« affirmatif descriptif ’», de type ‘« affirmatif explicatif’ » et de type ‘« opératif’ ». Pour les deux premiers types, ces énoncés correspondent respectivement aux ‘« savoirs factuels’ », représentations formalisées immédiates des êtres et des choses, aux ‘« savoirs d’intelligibilité’ » produits d’outils désignés ‘« savoir théorique’ ». En ce qui concerne le troisième type ‘« les énoncés apparaissent dans le contexte direct d’activités de transformation du réel, et supposent de la part de ceux qui y sont impliqués une activité supplémentaire de prise de conscience, d’explicitation et de mise en mots.’ » Ces savoirs opératifs sont eux-mêmes divisés en trois catégories selon le mode de transformation du réel qui caractérise les actions auxquels ils ont trait : savoirs de routine, savoirs procéduraux et savoirs d’action. C’est cette dernière catégorie à laquelle nous avons fait référence en ce qu’elle correspond aux situations où ‘« les modes de transformation du réel impliquent, pour la production d’un résultat inédit, une variabilité des opérations et des matériaux utilisés (…) qui supposent le développement d’activités mentales spécifiques à la situation ayant pour résultat la production de nouvelles représentations ou de nouveaux énoncés relatifs aux résultats de l’action, à la séquence d’opérations permettant d’y parvenir et aux matériaux de ces opérations. ’» (Barbier 1996 pp. 14-15)

Pour illustrer notre propre transformation, l'exemple le plus parlant est sans doute celui qui touche à l'émergence de la nécessité d'un guidage explicité de l'apprenant par l'enseignant. Sans pour autant adhérer totalement et inconditionnellement aux conceptions non-directives, ce guidage nous paraissait en contradiction avec l'exercice de l'autonomie de l'apprenant. Peu à peu, le recours à ce guidage explicite s'est imposé. La rédaction de ces documents destinés aux élèves participe de la mise en œuvre de ce guidage. Dans cette nouvelle optique les plans de travail et les fiches-guides établis par l’enseignant ne devaient plus constituer un carcan mais fournir les contours souples d'un espace de liberté à l'intérieur duquel l'apprenant exerce toute son autonomie. En prenant l’image de l'apprentissage du ‘« aller à bicyclette’ », les plans du travail ont la fonction des roulettes auxiliaires adjointes à la roue arrière, délimitent le terrain cyclable autorisé et fixent l'heure du retour au domicile, mais n'imposent ni les parcours, ni la vitesse instantanée, ni les arrêts.

Naturellement de tels documents ne peuvent rendre compte à eux seuls de la complexité de la vie quotidienne de la classe. En particulier ils ne portent pas trace des conflits engendrés par la nouveauté de l'approche didactique, des relations entre les apprenants et l'enseignant, des négociations qu’ils nécessitèrent.

Les questions centrales et les hypothèses auxquelles ces documents se rattachent sont les suivantes :

  • L'autonomie est une des finalités éducatives. Ici il s'agit plus particulièrement de l'autonomie de l'apprenant à l'égard de l'enseignant et à l'égard du champ disciplinaire. Le développement de cette autonomie ne peut être assuré que par son exercice même. Cependant elle ne saurait se réduire au laisser-faire complet trop vite ressenti par l'apprenant comme un abandon. Elle suppose donc un cadre délimitant l'espace de liberté à l'intérieur duquel l'apprenant peut agir avec un maximum d'autonomie. Elle requiert un guidage explicite de l'apprenant par l’enseignant. Mais alors : comment planifier des séquences didactiques et expliciter un guidage de telle sorte que l'apprenant agisse avec la plus grande autonomie possible ?
  • L'objectif suprême demeure alors de doter l'apprenant d'instruments intellectuels qui lui permettent de repérer par lui-même le degré d'adéquation entre ce qu'il produit et ce qui est attendu de lui, de se positionner lui-même relativement aux autres, etc., en un mot de s'auto-évaluer. Le développement de cette capacité à s'auto-évaluer peut être assuré au travers des activités mathématiques qui sont offertes à l'élève. Mais alors : comment peut-on mettre en place un dispositif pédagogique qui favorise l'exercice de la capacité d'auto-évaluation et par la même son développement ?

Schématiquement chaque séquence d’enseignement-apprentissage de mathématiques est organisée en intégrant le tâtonnement expérimental de l’apprenant et la pratique de l’autocontrôle, de l’autocorrection et de l’auto-évaluation.