Par la sollicitation du processus d’apprentissage fondé sur le tâtonnement expérimental de l'apprenant.

Pour instrumenter, organiser et réguler son action d'enseignement, l'enseignant s'appuie sur une théorie de l'apprentissage humain. En transférant le concept de théorème-en-acte introduit par Gérard Vergnaud (Vergnaud 1991), elle est a minima une théorie-en-acte, fondée sur l'échange entre les pairs, sur l'expérience professionnelle quotidienne et sur une psychologie populaire fournissant ses modèles de compréhension et d'explication à partir de concepts quotidiens, à laquelle se réfère implicitement son action d'enseignement. Toutefois, la formation universitaire et la formation professionnelle des enseignants permettent d'accéder à des connaissances théoriques qui réorientent ces références vers des théories scientifiques de l'apprentissage, sans pour autant, d'ailleurs, chasser complètement le recours à des concepts quotidiens pour parler du processus d'apprentissage dont il a le projet de stimuler l'activation par son action d'enseigner. L'enseignant en tant que sujet est lui-même capable d'apprendre. En tant qu'enseignant, nous-même, n'échappons nullement à ce constat.

Dans la première partie (voir 2.2.1.3), en présentant les publications annexées à cette note de synthèse, nous avons exposé notre conception pédagogique de la sollicitation du processus d'apprentissage fondé sur le tâtonnement expérimental de l'apprenant, que nous avons communiquée par les écrits [1988a], [1991m], [1994a], [1998c]. Notre conception pédagogique s'origine dans celle de Célestin Freinet pour qui le tâtonnement expérimental (Freinet, 1971a) constitue un processus universel présent dans une classe d'activités humaines à laquelle appartient aussi l'apprentissage. Il s'est agi de notre première tentative d'explicitation d'une théorie de l'apprentissage humain à laquelle nous nous référons. Précisons dès maintenant, que l'expérience tâtonnée dont il est question, ne relève nullement de la conception de Thorndike. Elle ne se confond pas, sauf par une analogie abusive, avec un tâtonnement mécanique renvoyant à une conception de l'apprentissage comme l'écrit Vygotski, parlant de la conception de Thorndike (Vygotski 1985) ‘«un processus mécanique dépourvu de sens, qui conduit, au moyen d'essais et erreurs, à d'heureux résultats. »’ La méthode du tâtonnement expérimental n'est pas la méthode des essais et des erreurs. Dans l'écrit [1998a p258-264], nous avons tenté d'expliciter et de discuter le sens que nous lui donnions, en relation à une approche praxéologique de notre activité d'enseignement. Nous écrivions pour préciser le tâtonnement : ‘« En présence d'une circonstance nouvelle (...) l'individu va se mettre à tâtonner, c'est à dire partant de ses acquis actuels inadéquats pour apporter automatiquement une solution satisfaisante, il va essayer selon divers chemins de produire une réponse. (...) Ce tâtonnement est régulé par un ensemble de facteurs qui peuvent avoir un caractère soit contingent, soit nécessaire, soit encore aléatoire. De la part de l'apprenant, celui-ci résulte d'une intention d'action qui oriente le fonctionnement et détermine la coordination des mécanismes. (...) Son caractère expérimental provient du fait que l'individu réfléchit et raisonne tout en tâtonnant.’ » Dans ce processus, le statut de l'erreur se différencie de son statut scolaire habituel. Nous écrivions alors que ‘« l'erreur n'est le fruit ni d'une "lacune", ni d'un "manque de travail" (au sens scolaire), ni une quelconque "violation d'une règle imposée par un code, conduisant à une attitude répréhensible et regrettable". L'erreur est le résultat de la mise en œuvre de procédures inadéquates et non pertinentes dans la situation problème, de procédures non conformes aux modèles rationnels attachés au problème.’ » à cette notion d'erreur, nous attachions subséquemment celles de réussite et d'échec pour parvenir à la question du statut de l'acte réussi. Nous pensons que cet acte réussi est un événement déterminant dans le processus d'apprentissage. Son retentissement affectif est manifeste. Aujourd'hui, nous souhaiterions mieux comprendre son lien avec le développement cognitif dans une perspective autre que celle d'un renforcement positif. Prospectivement, nous souhaitons re-visiter cette notion qui nous semble à nouveau plus floue. Dans ce sens, le modèle d'évaluation R.E.N. dont nous avons déjà parlé, prend en charge la différenciation des origines de l'échec : échec par erreur et échec par non réponse. Son extension (R+ R- E N) intègre aussi une différenciation de la réussite.

Enfin, nous notions d'une certaine manière, le caractère d'instrument psychologique par lequel nous pouvions interpréter le tâtonnement expérimental qui, comme nous l'écrivions, ‘« constitue (...) un ensemble de techniques d'investigation et de démarches de réflexion que se construit un individu avec l'aide de l'enseignant, d'un pair ou d'un outil.»’ Cette instrumentation psychologique constitue alors un facteur du développement de l'autonomie du sujet en ce qu'elle amplifie ses capacités d'investigation.

Dans l'écrit [1994a], nous avons tenté de savoir en quoi le tâtonnement expérimental était possible en mathématiques. Par une approche spéculative, nous avons mis en évidence la dépendance de cette possibilité avec la conception des mathématiques. Si la conception platonicienne et celle constructiviste de Brouwer s'accordent bien avec l'idée d'expérience tâtonnée pour atteindre les objets mathématiques, la conception formaliste ne lui laisse aucune place à un sens. Quoi qu'il en soit, en prenant l'expérience tâtonnée dans le sens élargi de "fait d'éprouver quelque chose, considéré comme un élargissement ou un enrichissement des connaissances, du savoir ou des aptitudes", elle prend alors un sens dans le champ des mathématiques du point de vue de l'apprenant. Son expérience commence avec la manipulation concrète ou mentale d'objets mathématiques ou paramathématiques. Elle se prolonge dans des activités de mathématisation ou de modélisation.