B - Etude des Suites pour violoncelle seul composées au XXème siècle

1 - Evolution de la production au cours du siècle

Nous avons établi, à partir des catalogues de MARKEVITCH et HOMUTH, c’est-à-dire en nous appuyant sur l’ensemble du répertoire connu, une liste chronologique des Suites pour violoncelle seul composées au XXème siècle (Cf. Annexe n°6). A l'examen de cette liste, on peut remarquer que la composition de pièces se référant directement au genre de la Suite ne commence qu’avec les années 1910, c’est-à-dire après que ce soit véritablement imposée au concert l’exécution des Suites de BACH. Comme nous l’avons déjà souligné, il s’agit d’ailleurs, pour la première œuvre publiée, la Suite op.122 du Hongrois Emanuel MOOR, d’un compositeur gravitant dans l’entourage direct de Pablo CASALS et l’influence exercée par les interprétations de celui-ci est incontestable. 102 Mais l’œuvre la plus marquante de cette décennie est bien entendu l’ensemble constitué par les trois Suites op.131c (1915) de Max REGER (1873-1916). Pour ce grand admirateur de BACH, à propos duquel REGER affirmait qu’il représentait “ le début et la fin de toute musique ”, il n’était sans doute pas besoin d’intermédiaire pour chercher à renouer avec cette tradition perdue de la composition pour instrument à archet solo, et d’ailleurs de nombreuses œuvres pour violon seul avaient déjà précédé ce recueil. 103 Quant à Hugo BECKER (1864-1941), auteur d’une Fantastische Suite op.14 publiée en 1919, il était violoncelliste 104 et lui-même pionnier dans la mise au programme de ses récitals des Suites de BACH.

Dès les années 1920, la production double et se diversifie déjà sur le plan des styles, avec des compositeurs d’origines assez variées (Allemagne, Autriche, France, Espagne, Russie). L’œuvre la plus intéressante et la plus personnelle de cette période est due à un violoncelliste, le catalan Gaspar CASSADO (1897-1966) 105 , élève de CASALS, dont la Suite per violoncello solo (1925) est très influencée par la musique populaire espagnole.

Les années 30 et 40 révèlent une légère régression dans la production, mais la Suite op.84 (1939) du compositeur d’origine tchèque Ernst KRENEK (1900-1991) marque cependant une étape importante en introduisant l’écriture sérielle au sein de notre répertoire. Et c’est à partir des années 50 que commence une courbe d’accroissement significative (15 Suites) qui ne fera que s’amplifier jusque dans les années 80 (45 Suites). Elle suit d’ailleurs la progression constatée, de manière générale, dans notre introduction à l’ensemble du répertoire pour violoncelle solo.

Un déclin semble s’amorcer dans la dernière décennie du siècle où nous n’avons relevé que 7 Suites, mais le genre reste encore malgré tout vivace et le compositeur français Nicolas BACRI en témoigne, lui consacrant quatre œuvres importantes : les Trois Suites op.31 composées entre 1990 et 1993, et tout récemment une quatrième Suite op.50 (1994-96) dédiée à la jeune et talentueuse violoncelliste Emmanuelle BERTRAND.

Si, donc, le modèle du genre inspiré par BACH transparaît à travers le titre et reste globalement présent dans toutes ces œuvres, il est certain que ses caractéristiques internes vont progressivement s’éloigner de celui-ci, ne serait-ce qu’en raison de transformations impliquées par l’évolution du langage. Ce sont ces points particuliers que nous voulons maintenant mettre en évidence, dans une confrontation de notre corpus avec les caractéristiques dégagées précédemment dans l’œuvre de BACH et élargies au modèle de la Suite baroque.

Notes
102.

KINNEY, op. cit., vol.2, p.427-428, reconnaît à cette œuvre une certaine originalité, évitant les clichés de la composition pour violoncelle du XIXème siècle, ainsi qu'une force expressive qui repose sur des idées thématiques saisissantes, mais son principal défaut est le manque de cohésion de l'ensemble.

103.

Il s’agit de onze Sonates pour violon seul (op.42 en 1899 et op.91 en 1905), ainsi que de Préludes et fugues pour violon seul (op.117 en 1909-1912 et op.131a en 1914). En 1915, année de la composition des Suites pour violoncelle seul, REGER écrit aussi trois Suites pour alto solo op.131d.

104.

Il est d’ailleurs dédicataire de la Deuxième Suite op.131c de Max REGER. Julius KLENGEL, dédicataire de la Première Suite op.131c, publiera lui aussi, peu de temps après, une Suite en RE M. op.56 (1923).

105.

Fils du compositeur Joaquin CASSADO (1867-1926).