Le Prélude, issu des formes les plus anciennes de la Suite de danses 106 , reste encore assez présent dans les œuvres composées au XXème siècle. Il conserve généralement son apparence improvisée, s’élaborant à partir d’une succession d’enchaînements harmoniques, le plus souvent dans une écriture en arpèges très caractéristique, et parfois avec une grande liberté rythmique qui peut être suggérée par la notation “ non mesurée ” empruntée aux clavecinistes du XVIIème siècle.
Les Trois Suites op.131c (1915) de Max REGER commencent toutes par un Prélude, et celui de la Suite n°1 en SOL M. se souvient de toute évidence du Prélude de la Suite n°1 de J.S. BACH, dans la même tonalité : même flot quasi ininterrompu de doubles croches, structure mélodique en arpèges avec appui sur une pédale de tonique... Tandis que le Prélude de la Suite n°3 en La m., par ses chromatismes et modulations, son écriture fréquemment en doubles cordes et son atmosphère très tendue, s'éloigne en revanche considérablement de l'esprit de ceux de BACH et affirme d’emblée sa modernité.
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De nombreux compositeurs reprendront ce modèle du Prélude en arpèges réguliers pour ouvrir leurs Suites. C’est ainsi que le Prélude de la Suite en Ré m. (1945) de Paul TORTELIER s'inspire du jeu sur pédale pratiqué par BACH dans les Suites n°1 et n°3. Il fait en outre précéder le retour de la phrase initiale en coda par une courte Quasi cadenza qui renchérit sur cette volonté de lui donner un caractère improvisé.
Les Suites 1 et 2 (1956) d’Ernest BLOCH commencent aussi par un Prélude. Le Prélude de la Suite n°1 en Do m., de structure ternaire (A-B-A’), présente, malgré la fausse sérénité de son déroulement rythmique régulier, un caractère tendu et tourmenté lié à l’emploi intensif d’intervalles augmentés (secondes, quartes et quintes). Ce caractère s’accentue encore dans la partie centrale (piu appassionato), plus animée, où l’ambitus s’ouvre largement vers l’aigu pour atteindre son climax sur le La4 avant la réexposition variée de la première partie. Sa fin suspensive sur la dominante confirme bien la fonction d’introduction de ce premier mouvement qui s’enchaîne sans interruption avec l’Allegro qui suit. Celui de la Suite n°2, en Sol m., est d’une plus grande flexibilité rythmique et même si les arpèges du début, qui prennent appui sur une pédale de tonique dans le grave, rappellent encore le Prélude de la Première Suite en SOL M. de BACH, l’usage important qu’il est fait des doubles cordes et le chromatisme l’inscrivent déjà dans la lignée de REGER :
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Mais il convient surtout de souligner la fonction unificatrice de son matériau qui s’insère à plusieurs reprises dans l’Allegro qui suit (mes.61 à 65 et mes.119 à 131) avant d’être réexposé intégralement, dans ses onze premières mesures, afin d’assurer l’enchaînement du troisième mouvement, Andante tranquillo.
La Suite en RE (1973) d'Enric CASALS, commence par un Preludi assez développé, dont les différents épisodes sont encore très marqués par l'influence de BACH (succession harmonique en arpèges, partie centrale en polyphonie imaginaire, courte séquence d’allure improvisée). Le Prélude de la Suite florentine (1984) d'André AMELLER, par l'indication initiale “ a piacere ” et la notation sans barres de mesures, fait sans équivoque référence aux Préludes non mesurés des clavecinistes du XVIIème siècle. Son écriture monodique, qui prend régulièrement appui sur un accord, en est aussi une autre réminiscence. Quant au Preludio de la Suite op.31 n°2 Tragica (1993) de Nicolas BACRI, il participe encore de ce caractère improvisé par son absence de métrique, son écriture rythmique très mouvante et ses fréquents changements de tempo :
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Mais c'est encore sous d'autres appellations que peut se retrouver l'ancien Prélude. Dans la Suite op.76 (1946) d'Alexandre TCHEREPNINE, le Quasi cadenza qui ouvre l'œuvre, évoque lui aussi, de tout évidence, un Prélude par son absence de barres de mesures, sa souplesse rythmique et son écriture en arpèges. La Suite française en UT M. (1981) de Claude PASCAL commence par une Introduction dont l'écriture monodique, de style arpégé, rappelle encore celle des luthistes et clavecinistes du XVIIème siècle auxquels se réfère très clairement le compositeur par le titre même de l'œuvre. Quant à Nicolas BACRI, il retient encore dans sa Suite op.31 n°3 “ Vita et mors ” (1993) l'idée d'improvisation pour son premier mouvement (Improvvisazione prima), qui reviendra par deux fois au cours de l’œuvre, sous des formes variées, dans une conception cyclique.
Il était pratiqué à l’origine par les luthistes dans une triple fonction : vérification de l’accord de l’instrument, “ mise en doigts ” de l’instrumentiste et mise en place de la tonalité d’ensemble de la Suite.