d - Importance du modèle vocal

Se substituant à la danse, si étroitement liée à la Suite baroque, les mouvements se référant à une forme vocale vont constituer l’une des principales sources d’inspiration de la Suite pour violoncelle seul du XXème siècle. On aura d'ailleurs l’occasion de voir plus loin que ce modèle vocal ne se limite pas au genre de la Suite, mais transparaît bien à travers l’ensemble du répertoire. Nous ne ferons que souligner ici sa présence au sein du corpus des Suites et en donner quelques exemples.

Le troisième mouvement de la Suite n°1 d'Ernest BLOCH est une Canzona. Le choix de la tessiture, dans un registre de soprano, et sa présentation quasiment monodique confèrent d’emblée à la première exposition du thème un caractère vocal. Le ton “ populaire ” y est donné par la couleur modale et la simplicité de sa thématique dont les deux premières mesures, par leurs nombreux retours, acquièrent une valeur de refrain, et fournissent l’essentiel du matériau.

Dans la Suite en RE (1973) d'Enric CASALS, l’hommage rendu à son frère à l’occasion de sa mort lui fait emprunter pour son troisième mouvement, Elegia, un thème de l'oratorio composé par Pablo, El Pessebre (La Crêche). Ce thème aux couleurs modales (La) est énoncé très sobrement dans le caractère d’un choral et ses différentes périodes sont encadrées par le retour, à la manière d’un refrain, d’un court motif arpégé qui imprime par son oscillation entre le mode majeur et le mode mineur un caractère doucement teinté de tristesse.

Mais s'il est un compositeur qui illustre particulièrement bien cette tendance, c'est très certainement Benjamin BRITTEN qui, de manière générale, a fait une si grande place à la musique vocale dans ses œuvres. Il est sans doute celui qui a su le mieux renouveler le genre de la Suite pour violoncelle seul et lui donner un nouveau souffle, en particulier grâce à cette source d'inspiration vocale qui correspond si parfaitement à la nature de l'instrument. 122 Et, dans le sillage de BRITTEN que Nicolas BACRI revendique volontiers 123 , les trois Suites op.31 du compositeur français affirment aussi constamment leur inspiration vocale, avec la même diversité que leurs aînées. Le deuxième mouvement de la Suite n°2, intitulé Cantilena, est une ample et souple mélodie d'une grande sobriété, tandis que le quatrième mouvement de la Suite n°3 est une Aria très ornementée. Dans cette même Suite n°3, la fin du cinquième mouvement est interprétée “ largo, declamato ”, tandis que le sixième s’achève sur un “ lamentoso e sotto voce ”. Le second mouvement, Maestoso, de la Suite n°1 se déroule, quant à lui, dans un “ poco vivace, recitativo ”.

Notes
122.

Nous reviendrons en détail sur cet aspect de son œuvre dans le Chapitre I de notre Deuxième Partie.

123.

C'est ainsi qu'il écrit à propos du mouvement, Mesto, qui ouvre sa Suite op.31 n°1 : “ Le fait qu'on la trouve préludant à une Suite - qui deviendra la première d'un cycle de trois, dédiées à la mémoire de Benjamin Britten - est caractéristique d'un hommage rendu à un maître qui s'efforça constamment d'exprimer avec une très grande économie de moyens les situations musicales les plus exigeantes. Les trois Suites que Britten écrivit pour le violoncelle sont à cet égard emblématiques du génie d'un compositeur qui, en un langage si évocateur et personnel, a su transfigurer avec une totale rigueur et la plus profonde liberté, l'idéal sonore, idiomatique, formel et émotionnel de J. S. Bach dans ses Suites pour violoncelle. ”, cité dans le livret du CD Triton INTCM 528522, p.14.