2 - Analyse de la Sonate dans sa relation avec le folklore

Comme dans les grandes œuvres de son illustre compatriote Bela BARTOK, il n'y a pas dans la Sonate op.8 d'emprunt direct à des mélodies issues du folklore hongrois, mais plutôt recréation d'un style ou d'un caractère populaire qui transparaît en tout premier lieu à travers le langage constamment situé entre tonalité et modalité. 140 Toute l’œuvre repose sur l’ambiguïté entre Si m. et SI M. et les échelles sont constamment altérées par des allusions modales (quarte augmentée, second degré abaissé...). Les relations tonales entre les thèmes ou sections sont aussi fréquemment en rupture avec les conventions du langage tonal (cf. second thème de premier mouvement exposé en MIb M.). Mais il faut aussi noter, d’un autre côté, la très forte présence des pédales, surtout dans le troisième mouvement, principe de stabilité en même temps qu’allusion aux effets de bourdon des musiques populaires. On remarquera d’ailleurs avec quel génie KODALY en renouvelle constamment la présentation dans ce contexte pourtant très contraignant et limitatif de l’instrument solo.

En accord avec la tonalité choisie, KODALY va avoir recours à une technique très couramment pratiquée dans les musiques populaires d’Europe centrale, la scordatura de l’instrument, c’est-à-dire la transformation de son accord traditionnel par quintes superposées depuis la corde grave. Ici, les deux cordes inférieures sont abaissées d’un demi ton (Si 0 et Fa# 1) afin de faciliter et de favoriser l’émission de l’accord de tonique et bien sûr aussi d’atteindre cette tonique jusque dans le registre le plus grave de l’instrument, tout en conservant par les deux cordes supérieures, tonique et dominante du ton relatif, RE M..

Les rythmes de la Sonate sont eux aussi directement inspirés des chants et danses populaires. Ceux des premier et second mouvements relèvent plutôt de l’influence vocale avec leur liberté et leur souplesse issue du rubato parlando (cf. première phrase énoncée au début du second mouvement, mesures 1 à 6), tandis que les thèmes du troisième mouvement se situent, eux, dans la sphère de la danse, inscrits dans une métrique immuable à 2/4. Ils sont généralement construits sur une courte cellule rythmique répétée (cf. second thème, mesures 62 à 66).

Exemple n°16 : Z. KODALY,
Exemple n°16 : Z. KODALY, Sonate op.8, 2ème mvt, Adagio, mes.1 à 6.

Copyright 1921 by Universal Edition. Copyright renewed 1948. Copyright assigned 1952 to Universal Edition Ltd., London, U.E. 6650. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Exemple n°17 : KODALY,
Exemple n°17 : KODALY, Sonate op.8, 3ème mvt, Allegro molto vivace, mes.62 à 67.

Copyright 1921 by Universal Edition. Copyright renewed 1948. Copyright assigned 1952 to Universal Edition (London) Ltd., London. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Le premier thème de ce troisième mouvement présente d'ailleurs une grande parenté avec le thème A du second mouvement (Allegro con spirito) de la Sonate op.4 pour violoncelle et piano de KODALY, que Laszlo EÖSZE rapproche à juste titre des rythmes stéréotypés et des phrases répétitives des chansons enfantines et comptines de Hongrie. 141

Quant à la forme de chaque mouvement, même si elle présente une parenté avec les grandes formes classiques (forme sonate pour les premier et troisième mouvements, ou ternaire, type ‘’lied’’ pour le second), elle est surtout dominée par l'esprit d'improvisation et la variation continue qui leur confère plutôt une allure rhapsodique. 142

Mais c’est sans doute par sa couleur et ses recherches de timbres que l’œuvre évoque encore le plus le monde de la musique populaire. Comme LISZT l’avait déjà fait avec le piano au XIXème siècle, KODALY développe ici avec le violoncelle solo toute une série d’effets imitatifs visant à recréer des sonorités propres aux instruments populaires. Il est ainsi possible d’entendre tour à tour, dans le troisième mouvement, une cornemuse (mes.57 à 74), un violoneux (mes.96 à 108), une flûte de pan (mes.119 à 136) ou le tàrogato (sorte de chalumeau utilisé par les pâtres de Hongrie), le cymbalum (mes.190 à 209) ou encore la guitare (mes.78 à 96).

Notes
140.

Voir à ce sujet l’article rédigé par BARTOK, Bela, “ Della musica moderna in Ungheria ”, Il Pianoforte, 15 juillet 1921, p.197 : “ ... la musica di Kodaly non appartiene a quel tipo di musica che oggi si dice moderno : essa non ha alcun rapporto con le nuove scuole atonali, bitonali e politonali : tutto in essa si fonda ancora sul principio dell'equilibrio tonale. Ma il suo linguaggio è nuovo, dice delle cose che non sono ancora state dette, provando in tal modo che la tonalità non ha ancora perduto ogni sua ragione di essere. ”

[La musique de Kodaly n’appartient à aucun type des musiques qui sont dites aujourd’hui modernes : elle n’a aucun rapport avec les nouvelles écoles atonale, bitonale et polytonale : tout en elle se fonde encore sur le principe de l’équilibre tonal. Mais son langage est neuf, il dit des choses qui n’ont pas encore été dites, prouvant ainsi que la tonalité n’a pas encore perdu toute raison d’être.]

141.

EÖSZE, Laszlo, Zoltan Kodaly, His Life and Work, Boston, Crescendo Publishing Company, 1962, p.98 : “ The other main type of instrumental melody, often encountered in the quick last movements, is reminiscent of the stereotyped rhythms and repetitive melodic phrases that are familiar from Hungarian children's songs and counting-out songs, for instance this passage from the second movement of the Sonata for 'Cello and Piano. ”

[Le principal autre type de mélodie instrumentale, souvent rencontré dans les derniers mouvements rapides, rappelle les rythmes stéréotypés et les phrases mélodiques répétitives qui sont familières dans les chansons enfantines hongroises et dans les comptines, comme, par exemple, ce passage du second mouvement de la Sonate pour violoncelle et piano.]

142.

Voir l’analyse détaillée dans l’Annexe n°3.