C'est Bela BARTOK qui le premier, dans un article sur la nouvelle musique hongroise 143 , a souligné toute la nouveauté de la Sonate op.8 de KODALY (1915) dans ce domaine : “ La Sonate pour violoncelle solo ne présente aucune ressemblance avec les autres œuvres du genre, particulièrement avec celles de Reger qui ne sont que de pâles imitations de Bach. Kodaly y exprime des pensées musicales neuves avec un moyen nouveau et en même temps le plus simple possible, comme l'est celui du violoncelle solo. C'est précisément la solution de ce problème qui a donné l'occasion au compositeur de créer une technique de style insolite et original : à travers laquelle il parvient à reproduire des effets vocaux surprenants, au-delà desquels, ou, pour mieux dire, au-dessus desquels brille la valeur intrinsèque de l’œuvre dans sa musicalité. ” 144
En effet, même si cette œuvre puise sa source d’inspiration dans une tradition populaire, elle n’en est pas moins profondément novatrice. Dans son désir d’évocation d’un univers autre que celui propre au violoncelle, le compositeur parvient à en élargir considérablement les moyens techniques et expressifs, en tout premier lieu par le biais d’un ambitus très vaste (cinq octaves, du Si0 au Si5) constamment exploité mélodiquement ou harmoniquement. L’opposition rapprochée des registres extrêmes constitue d’ailleurs un des éléments majeurs de la puissance expressive de l’œuvre. Chacun des mouvements fait apparaître des moments qui reposent sur ce jeu de contrastes (mesures 136 à 141 du premier mouvement, mesures 115-116 du second, ou encore toute la coda du troisième mouvement qui élargit progressivement l’ambitus vers l’aigu jusqu’à son sommet d’intensité avant de chuter magistralement dans le grave, sur le Si0 :
Copyright 1921 by Universal Edition. Copyright renewed 1948. Copyright assigned 1952 to Universal Edition Ltd., London, U.E. 6650. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.
A plusieurs moments de cette œuvre, on assiste à un véritable déploiement instrumental où tous les moyens possibles sont mis en jeu pour obtenir l’illusion d’une multiplicité et d’une puissance de caractère presque symphonique. C’est le cas du climax du premier mouvement, à partir de la mesure 135 où tout est mis en œuvre pour un renforcement maximum de la sonorité : nuance ff dans un registre très aigu pour l’élément mélodique opposé au registre grave du soutien harmonique, ajout d’un trille sur chacune des notes, usage de doubles cordes (succession de sixtes) qui aboutiront (mes.146...) à une succession d’accords de quatre sons enchaînés, encore accentués par le caractère pesante.
Copyright 1921 by Universal Edition. Copyright renewed 1948. Copyright assigned 1952 to Universal Edition Ltd., London, U.E. 6650. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.
Mais la coda du troisième mouvement avec ses bariolages sur les quatre cordes et son élargissement progressif de l’ambitus vers l’aigu atteint à un paroxysme qui donne à cette conclusion une intensité expressive d’une force absolument inouïe.
Parmi les techniques novatrices introduites dans cette œuvre, il convient aussi de rappeler la scordatura, car même si cette technique est bien inspirée de pratiques populaires, il n’en reste pas moins vrai qu’elle renouvelle considérablement les possibilités harmoniques et sonores de l’instrument, et sera, pour cette raison assez fréquemment exploitée dans le cadre de notre répertoire.
L’usage important qui est fait aussi ici du pizzicato exécuté par la main gauche, emprunt là encore à des techniques issues du jeu instrumental populaire, introduit un apport considérable sur le plan des possibilités polyphoniques de l’instrument solo que tous les compositeurs du XXème siècle auront le souci de développer.
Il faudrait bien sûr encore insister sur les dimensions phénoménales de cette œuvre, d’une durée qui dépasse la demi-heure, et dont le dernier mouvement ne compte pas moins de 673 mesures ! Son exécution exige de la part de l’interprète, outre ses qualités de virtuosité, une très grande résistance physique, et il est certain que l’œuvre témoigne de la confiance que pouvait avoir KODALY dans son dédicataire, Jenö KERPELY. Mais il faut aussi souligner que, malgré cette volonté d’outrepasser constamment les limites imposées par le medium instrumental, KODALY a su aussi, tout au long de cette Sonate, respecter les qualités fondamentales de passion et de lyrisme dont le violoncelle est traditionnellement porteur, et c’est dans cet équilibre entre tradition et innovation que se situe toute la réussite de l’œuvre.
Paru en italien dans la Revue Il Pianoforte du 15 juillet 1921 sous le titre : “ Della musica moderna in Ungheria. ”, op. cit..
Ibid., p.196-197 : “ La sonata per violoncello solo non presenta alcuna rassomiglianza con gli altri lavori del genere, specialmente con quelle di Reger che non sono che pallide imitazioni di Bach. Kodaly vi esprime dei pensieri musicali nuovi con un mezzo nuovo e allo stesso tempo il più semplice possibile, com'è quello del violoncello solo. Ed è precisamente la soluzione di questo problema che ha dato occasione al compositore di creare una tecnica di stile insolita e originale : mediante la quale egli giunge a riprodurre effetti vocali sorprendenti, oltre ai quali, sopra ai quali anzi, brilla il valore intrinseco del lavoro come musicalità. ”