E - La Sonate pour violoncelle seul après 1960

A l’étude des Sonates pour violoncelle seul de cette deuxième moitié du siècle, on remarque que le poids de la tradition pèse encore de manière importante sur ce genre. Même si les compositeurs s’en défendent et traitent la forme avec une certaine liberté, la conception d’ensemble en est généralement assez peu modifiée et le fondement d’une structure thématique subsiste. Par ailleurs le genre n’apparaît en aucun cas comme un lieu privilégié pour effectuer des recherches et des innovations dans le domaine du timbre et des modes de jeu. L’instrument y est traité, à de rares exceptions, de manière traditionnelle (lyrisme et grande intensité expressive des mouvements lents, homogénéité du timbre ...). La notion de genre “ noble ” semble donc encore exercer une certaine fascination sur les compositeurs et les inciter à en poursuivre cette longue lignée entreprise depuis l’époque baroque. 190

La Parisonatina Al’Dodecafonia (1964) de l’américain Donald MARTINO est sans doute une des œuvres les plus originales de cette période, dans la mesure où elle révèle les premières véritables influences du jazz dans le cadre de ce genre, tout en restant liée à l’écriture sérielle. Chez ce compositeur, qui a eu un contact direct dans sa jeunesse avec le monde de la variété et du jazz, la fusion de cet univers avec les techniques de composition issues de la musique savante occidentale s’est très vite imposée comme une nécessité. La conception même de la forme générale de sa Parisonatina Al’Dodecafonia est révélatrice de cette empreinte, évoluant à partir de schémas traditionnels dans ses deux premières sections (Agitato conçu comme une sorte de passacaille, et Scherzevole en forme de rondo) vers des formes beaucoup plus libres dans les deux dernières, en particulier dans la Cadenza finale qui fait appel à l’improvisation. De la même manière, l’écriture sérielle y est aussi traitée assez librement.

Comme cela a déjà été constaté dans la première moitié du siècle, sous l’impulsion de la Sonate op.8 de KODALY, les compositions qui relèvent d’une influence des musiques populaires ou ethniques constituent elles aussi une tendance susceptible d’apporter un certain renouvellement dans le cadre de ce genre, que ce soit sur le plan de la forme mais bien sûr aussi du traitement instrumental, comme on peut le voir à travers la Sonata-Fantasia (1974) d’Aram KHATCHATURIAN. Celle-ci adopte une forme rhapsodique à travers ses deux mouvements enchaînés, le premier de tempo plutôt lent (Andante sostenuto) et le second rapide (Allegro giocoso, sostenuto). Leur structure interne procède aussi par juxtaposition d’éléments contrastés alternant épisodes mélodiques et épisodes rythmiques, parfois séparés par une séquence de caractère improvisé qui contribue, ainsi que les fréquentes fluctuations de tempo, à donner à cette œuvre sa très grande liberté. 191

Il faut cependant admettre que parmi les Sonates pour violoncelle seul produites après 1960, aucune ne parvient à égaler de quelque manière que ce soit l’œuvre de ZIMMERMANN et on a surtout le sentiment que le choix du genre révèle essentiellement un besoin de la part du compositeur de situer a priori son œuvre dans un registre plutôt ‘’grave’’ ou ‘’sérieux’’, de lui donner un poids, mais sous-entend aussi qu’il se soumet volontiers à un certain nombre de conventions et n’envisage pas une démarche réellement novatrice sur quelque plan que ce soit.

A côté de ces deux genres majeurs de l’histoire de la musique que représentent la Suite et la Sonate, genres porteurs d’un lourd héritage, nombre de pièces pour violoncelle seul empruntent encore à d’autres genres inscrits dans la tradition dont nous allons envisager quelques exemples. Là encore, et peut-être de manière encore plus évidente, c’est bien souvent à une œuvre forte du répertoire du passé et à certains de ses traits marquants qu’il est fait allusion et ce sont donc ces ‘’modèles’’ que nous chercherons à dévoiler.

Notes
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Comme on peut le percevoir par exemple à travers les propos suivants de Thierry LANCINO au sujet de sa propre Sonate : “ C’est un beau titre, déjà très utilisé, mais qui convient assez bien à l’œuvre, dans son sens large. ”

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Voir l’analyse détaillée dans l’Annexe n°3.