2 - Les justifications techniques

Ce rapprochement du violoncelle et de la voix humaine ne semble pas constituer une simple vue de l’esprit de la part des musiciens et peut incontestablement se justifier sous plusieurs aspects. L'étendue du registre du violoncelle couvre effectivement celui de l’ensemble de tous les types de voix humaines, depuis celui de la basse profonde jusqu'à la soprano colorature. Le violoncelle est d’ailleurs l’un des instruments qui possède le plus large ambitus (cinq octaves), ce que les interprètes et la technique du XIXème puis du XXème siècles chercheront encore à développer.

On peut bien sûr voir aussi une grande parenté dans la ‘’facture’’ et le fonctionnement de ces deux ‘’instruments’’. Dans les deux cas en effet, il y a d’abord mise en vibration d’une ‘’corde’’ puis amplification au moyen d’une caisse de résonance, à la différence près que pour la voix, la cavité buccale qui fait office de caisse de résonance est malléable et se déforme pour amplifier différemment chaque son émis (différentes voyelles..), tandis que celle du violoncelle est définie a priori, mais dans une forme soigneusement étudiée qui permet aussi la mise en résonance des harmoniques. Dans son ouvrage Technique vocale et technique instrumentale. Essai de synthèse suivi de réflexions sur l'interprétation, le violoncelliste Charles BARTSCH 256 , qui a lui-même pratiqué le chant, établit un rapprochement intéressant entre la technique du chant et celle des instruments à archet, allant jusqu’à affirmer qu’“ il n’existe qu’une seule technique ”. Il compare en effet le rôle de l’archet à celui de la colonne d’air du chanteur (émission d’une fréquence par la mise en vibration de la corde dans le premier cas, de l’air directement dans le second) 257 , tandis que la main gauche de l’instrumentiste effectue une “ diction ” des notes qui constituent la mélodie, au même titre que l’articulation de la bouche du chanteur réalise la prononciation du texte.

La pratique du vibrato comme moyen de renforcer l’expression, pratique commune à la voix et aux instruments à cordes mais aussi à vent, est enfin encore un facteur de rapprochement entre le violoncelle et la voix, même s’il n’est bien entendu pas complètement spécifique à notre instrument.

Notes
256.

BARTSCH, Charles, Technique vocale et technique instrumentale. Essai de synthèse suivi de réflexions sur l'interprétation,Paris, Alpha-Clean, 1978 ; cité par PENESCO, Anne, “ Le modèle vocal dans les méthodes pour instruments à archet publiées en France aux XIXème et XXème siècles. Perspectives européennes ”, op. cit., p.167 :

“ La comparaison esthétique s'enrichit ici d'une véritable réflexion sur la technique et la physiologie. Ayant pratiqué conjointement le chant (avec Hélène Lene-Ybla) et le violoncelle, Charles BARTSCH a constaté des similitudes frappantes entre les deux techniques et pense même qu' "il n'existe qu'une seule technique". Bartsch montre comment le chanteur appuie sa voix sur son diaphragme, constituant une colonne d'air au sommet de laquelle se trouve la bouche, avec le palais et la langue dont la position se modifie en fonction des syllabes à prononcer. Dans le jeu des instruments à archet, les muscles employés ne sont pas les mêmes, mais le principe est identique. C'est la main gauche qui, en ses déplacements, dit le texte, l'archet produisant par son appui sur la corde l'équivalent de la colonne d'air. ”

Ce violoncelliste d'origine belge a enseigné à l'Ecole Normale de Musique de Paris entre 1941 et 1949, puis au Conservatoire de Liège.

257.

Le violoncelliste français André NAVARRA exprime une opinion tout à fait similaire en affirmant : “ [...] Mais l’archet c’est la voix. Son déploiement va communiquer à l’instrument le maximum de ses vibrations ”, cité par MILLIOT, Sylvette, Entretiens avec André NAVARRA, op. cit., p.70.