B - Traduction de cette conception dans l’écriture instrumentale

1 - Les différentes formes d’expression de la voix

a - Souci de conserver les caractéristiques mélodiques

Parmi les principales caractéristiques qui découlent de cette assimilation de l’instrument à la voix, on observe avant tout la permanence d’un fort sentiment mélodique, c’est-à-dire d’une primauté de l’expression du successif, liée bien sûr avant tout à la nature même de l’instrument et à sa technique, mais qui va quelque peu à l’encontre de l’évolution de la pensée musicale du XXème siècle, plus attachée à développer d’autres paramètres, tels le rythme ou le timbre. Ce souci mélodique, que Lucien GUERINEL qualifiait d’’’essence de l’expressivité’’, reste donc une préoccupation fondamentale dans le cadre de ce répertoire, et ceci, quel que soit le langage adopté par le compositeur.

Dans une pièce tonale comme la Rhapsodic Ballad (1939) d’Arnold BAX, par exemple, la ligne mélodique est constamment sous-tendue par un motif thématique récurrent qui se prête à de nombreuses variantes de présentation (registre, rythme, ornementation...) tout en donnant son unité à une succession très libre de tempi variés :

Exemple n°50 : A. BAX,
Exemple n°50 : A. BAX, Rhapsodic Ballad, mes.1-2.

Copyright 1968 by Chappell, London, n°48143.

Mais c’est un sens mélodique tout aussi puissant qui domine l’ensemble des neuf très brefs mouvements de la Sérénade (1949) d’écriture dodécaphonique, composée par Hans Werner HENZE. Ce souci de conserver un caractère mélodique s’accompagne d’ailleurs assez souvent d’une certaine priorité accordée au jeu monodique, comme en témoignent certains mouvements de cette même Sérénade, tels le premier, Adagio rubato, ou encore le troisième, Pastorale.

Exemple n°51 : H.W. HENZE,
Exemple n°51 : H.W. HENZE, Sérénade, Adagio rubato, mes.1-4.

Copyright 1955 by Schott & Co, London. Copyright renewed 1983 assigned to B. Schott's Söhne, Mainz. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions Schott Musik International, Mainz.

C’est ainsi que le compositeur Marc MONNET définit d’ailleurs lui-même sa pièce pour violoncelle seul, Chant (1984) : “ ‘A la fois simple et complexe, cette pièce [...], tend ou plutôt sous-tend une mélodie (ou une ligne).’ ” 281

Cette transposition de l’expression vocale sur l’instrument oscille en réalité entre deux pôles qui reflètent parfaitement les deux styles fortement contrastés, incarnés au sein de l’opéra par le récitatif et l’air, tout en intégrant aussi, bien sûr, les situations intermédiaires, comparables à l’arioso.

Notes
281.

Extrait du programme des Semaines Musicales Internationales d’Orléans, 1er décembre 1984.