b - La transposition instrumentale du discours, du récitatif

Les caractères fondamentaux de cette forme d’expression vocale sont une intonation de faible ambitus associée à une certaine liberté rythmique. Afin de mieux rendre compte de la souplesse propre au discours parlé, le rythme se libère bien souvent du carcan métrique, voire même de la pulsation régulière. C’est le cas, par exemple, de la pièce Les mots sont allés... de Luciano BERIO, sous-titrée "recitativo" pour cello seul. Le compositeur précise encore au début de la partition qu’elle doit être interprétée avec un jeu "intime, comme en parlant". 282 L'absence de barres de mesures, habituelle dans toutes ses œuvres pour instrument solo (cf. les Sequenzas) correspond ici en plus au souhait du compositeur de donner à sa pièce l'allure d'une "diction" très libre qui est associée à une écriture rythmique extrêmement souple et instable, comme le souligne l'indication "sempre più agitato e instabile" au centre de la pièce.

Comme chez BERIO, les œuvres pour violoncelle seul d'Antoine TISNE sont constamment accompagnées des indications "déclamé" ou "récité". 283

Exemple n°52 : A. TISNE,
Exemple n°52 : A. TISNE, Nuits, début “ Lent et récité ”.

Copyright 1987 by Gérard BILLAUDOT Editeur S.A., Paris, G. 4198 B. Reproduit avec l'aimable autorisation de l'Editeur.

Pour rendre parfaitement compte de la liberté de cette déclamation, le compositeur adopte une notation non mesurée et non proportionnelle qu’il accompagne parfois, comme dans l’Elégie I, d’un minutage marqué par courtes séquences. 284

La déclamation ‘’récitative’’ peut aussi parfois adopter le ton de la récitation, ou plutôt de sa forme caricaturale, à travers un mode de diction totalement dénué d’expression, débité sur un rythme uniforme comme cela se produit dans les Quatre Récitations pour violoncelle (1980) de Georges APERGHIS. Le compositeur transpose ici sur l'instrument le processus de diction un peu mécanique d'un enfant qui récite un texte ou une prière par cœur. Ce principe détermine en outre le processus compositionnel et la forme des pièces qui se construisent par accumulation de formules répétées à l’identique et chaque fois allongées d'une note supplémentaire. Elles sont généralement d'une grande volubilité, tout particulièrement la première et la quatrième.

Notes
282.

On peut d’ailleurs noter que la partie de violoncelle soliste de Il ritorno degli snovidegna (1977) est aussi accompagnée de l'indication "Sempre parlando". Pour BERIO, comme pour d’autres compositeurs particulièrement attachés à la musique vocale, le violoncelle est vraiment considéré comme un substitut de la voix.

283.

Elégie I commence par “ Récit, recueilli ” ; Nuits commence par “ Lent et récité ” et l'œuvre se conclut sur un Récit interrogatif libre qui reprend des éléments du début.

Dans les Trois Présences insolites , deux sections sont qualifiées de “ Déclamé ” (pièce n°1, séquence III) et “ Large et déclamé librement ” (pièce n°3, séquence V) ; et on retrouve un “ Déclamé ” dans le cours de l' Elégie II (p.3, 6ème section).

284.

Cf. commentaire du compositeur en marge de la partition : “ Le minutage de chaque section doit être considéré comme une indication de Temps Musical, un point de repère visant à aider le soliste dans son interprétation de l’Elégie I dont l’esprit se rapproche de la Rhapsodie. ”