d - Emprunt à des techniques issues de pratiques vocales

Dans cette transposition de la voix sur l’instrument on peut encore relever certains effets qui semblent directement issus de pratiques liées au chant et trouvent leur origine dans les musiques de tradition orale. Ce sont en particulier d’une part les brefs glissandos ou portamentos, qui sont d’ailleurs passés dans la technique savante de chant sous la forme du port de voix, et d’autre part l’ornementation par micro-intervalles.

Les musiques traditionnelles japonaises fournissent l’exemple d’une telle pratique, comme l’explique Akira TAMBA : “ Malgré les différences entre les genres ou les interprètes, la technique vocale est caractérisée par un ensemble de traits communs : vibratos irréguliers et très amples, fluctuation des sons, gravité des timbres, attaque glissante par en dessous. ” 293 et une pièce comme Bunraku (1960) de Toshiro MAYUZUMI, qui fait directement référence par son titre à une forme de théâtre de marionnettes développée aux XVIIème et XVIIIème siècles dont le texte, chanté en récitatif, est accompagné par le shamisen, utilise assez systématiquement le portamento entre les sons :

Exemple n°59 : T. MAYUZUMI,
Exemple n°59 : T. MAYUZUMI, Bunraku, mes.86 à 89.

Copyright 1964 by C F Peters Corporation, New York, No.6356. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Dans Elemental IV (1984), TAMBA recourt d’ailleurs lui-même à ces glissandos entre les sons, sans qu’il y ait référence à une quelconque forme vocale dans cette œuvre.

Arco1 (1987) d’Ivo MALEC donne aussi un très bel exemple de cette technique appliquée à l’ensemble de la pièce et traduite sur la partition par le symbole [ ] que le compositeur commente ainsi dans son introduction : “ portamento en vibrant ”. C’est par ce procédé qu’il donne à son premier épisode ce caractère de “ plainte intense et expressive ”, tendue de par son registre centré autour du Ré4 et “ confiné avec insistance dans un espace étroit et aigu du spectre ” :

Exemple n°60 : I. MALEC,
Exemple n°60 : I. MALEC, Arco 1, p.7, 4ème système.

Copyright 1993 by Editions Salabert, Paris, E.A.S. 18542. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Si, dans ce passage, le portamento s’effectue généralement entre des sons très proches (demi-ton / tierce mineure), dans d’autres séquences, il peut aussi s’élargir à de plus grands intervalles, pour parfois même ne pas trouver d’aboutissement sur une note définie :

Exemple n°61 : I. MALEC,
Exemple n°61 : I. MALEC, Arco 1, p.10, 4ème système.

Copyright 1993 by Editions Salabert, Paris, E.A.S. 18542. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Dans une autre séquence, enfin, la confrontation de ce portamento au demi-ton avec le son supérieur tenu produit, par ses frottements harmoniques et ses battements entre sons proches de l’unisson, un effet de “ balancements ” d’une grande expressivité :

Exemple n°62 : I. MALEC,
Exemple n°62 : I. MALEC, Arco 1, p.11, 6ème système.

Copyright 1993 by Editions Salabert, Paris, E.A.S. 18542. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Dans la pièce de Jean-Louis FLORENTZ citée plus haut, L’Ange du Tamaris, inspirée par la musique éthiopienne comme plusieurs autres œuvres de ce compositeur 294 , on rencontre aussi quelques exemples de ces brefs glissandos entre deux sons proches qui s’apparentent à de telles pratiques.

Notes
293.

TAMBA, Akira, Musiques traditionnelles du Japon (des origines au XVI ème siècle), Cité de la musique / Actes Sud, 1995, p.18.

294.

Rappelons que la partition porte en exergue un fragment du Testament d'Abraham, dont le compositeur précise qu'il s'agit de la version éthiopienne (Ealacha). Celui-ci s’est d’ailleurs exprimé, lors d’un interview sur France-Musique (Concert du 27-11-97), sur la forte impression que lui avaient faite les Zoumari, peuple d’Ethiopie, qui jouent d’un instrument presqu’aussi grand qu’eux, le massenko, et dont l’étreinte est assez semblable à celle du violoncelliste avec son instrument.