1 - Niveau ‘’neutre’’

Dans la pièce d’Ivo MALECArco-1 (1987), l’intervention très ponctuelle d’un Mi chanté bouche fermée sur la quinte à vide grave du violoncelle Do-Sol, jouée piano, relève de ce que nous avons appelé le niveau neutre, dans la mesure où l’effet recherché ici est tout simplement une fusion entre les deux timbres, dans la réalisation d’une harmonie plus complète. Le compositeur précise d'ailleurs sur la partition : “ très homogène avec le violoncelle ; femmes 8va. ”

Et c’est dans une même quête d’harmonie que le compositeur soviétique Alexandre KNAIFEL avait déjà sollicité la voix du violoncelliste à la fin de sa pièce Lamento (1967) afin d’enrichir d’une partie supplémentaire cette conclusion dans le caractère d’un choral. Dans cette pièce, les sonorités instrumentales qui précèdent préparent d’ailleurs tellement bien cette entrée de la voix qu’elle pourrait quasiment passer inaperçue. Elle constitue comme une sorte de prolongement de l’instrument, mais son apparition nous ramène aussi à la signification première de cette œuvre de déploration et l’intervention de la voix apporte sans conteste une émotion supplémentaire. 303

Plusieurs pièces des années quatre-vingt, inscrites dans le courant de l’œuvre ‘’mobile’’, font aussi intervenir ponctuellement la voix de l’instrumentiste. Ainsi, Piotr MOSS demande-t-il exceptionnellement dans Solo n°2 (1985) de chanter un La2 sur la consonne “ M ” (c’est-à-dire quasiment bouche fermée), dans un contexte où les nombreuses indications expressives qui jalonnent la partition : “ furioso, brutalmente, con collera, nervosamente, delicato, con passione, misterioso, indifferente, deciso ”, suggèrent toutefois déjà bien une interprétation théâtrale. Dans un esprit plus ludique, les deux derniers mouvements de Cellophonia (1987) de Michel BERTHOMIER font aussi appel à la voix : le quatrième, Lai, pour réaliser un jeu entre celle-ci et l’instrument, avec des sons chantés bouche fermée sur des hauteurs ad libitum, ou encore parfois, sifflés ; et le cinquième, Collophanie, où elle intervient pour ponctuer de quelques exclamations (“ Ya ! pa tcha ! aï ”) le déroulement d’une pièce virtuose, jouée avec beaucoup de fougue, tandis que des percussions des doigts sur la caisse de l’instrument s’ajoutent à ces ponctuations vocales.

L’apport de la voix dans ce niveau que nous avons qualifié de ‘’neutre’’ relève donc plutôt d’une recherche de dimension polyphonique, quelle soit de nature harmonique comme dans les exemples de MALEC et KNAIFEL, ou contrapuntique, comme c’est plus particulièrement le cas de l’œuvre de BERTHOMIER ; mais on s’aperçoit aussi, à travers ces quelques exemples, que l’intervention de la voix dans le jeu instrumental est finalement rarement anodine et dénuée du pouvoir dramatique ou émotionnel dont elle est porteuse, et c’est bien sûr cet aspect que les compositeurs vont le plus souvent chercher à exploiter.

Mais c’est aussi par le biais d’un texte que la voix peut ajouter au sens musical et à l’expression d’une pièce, et, par l’intermédiaire de ce texte, c’est véritablement l’aspect sémantique du langage qui se découvre.

Notes
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Rappelons que ce Lamento était initialement une musique de ballet pour la scène de La Madeleine repentante d’après le Titien et Rodin, dédiée à la mémoire de Roman JAKOBSON, maître de ballet de Léningrad. Il fut ensuite adapté dans cette pièce pour violoncelle seul.