2 - Apport sémantique de la voix

Nous envisagerons ici deux exemples très différents de cette utilisation des possibilités sémantiques engendrées par la participation vocale. Pour le premier, cette dimension est quelque peu voilée, à peine suggérée, tandis que dans le second elle passe véritablement au premier plan.

Dans les Quatre récitations pour violoncelle seul (1980) de Georges APERGHIS, la deuxième fait intervenir la voix. Cette pièce se présente comme une sorte de confession “ intime ”, ainsi qu’il est précisé en tête de partition, obtenue par un jeu instrumental assez ténu, puisque les sons ne sont produits que par percussion des doigts sur les cordes, tandis que la voix "chuchotée" tout au long de la pièce la ponctue par ses interventions monosyllabiques :

Exemple n°69 : G. APERGHIS,
Exemple n°69 : G. APERGHIS, Récitation n°2, mes.1 à 5.

Copyright 1980 by Editions Salabert, Paris, E.A.S. 17469. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Le texte a ici une valeur signifiante et repose sur deux mots fondamentaux : violoncelle et voix, mais sa présentation disloquée où les mots, et a fortiori la phrase, sont constamment déconstruits, ne permet pas à la réalité du sens de se révéler, laissant ainsi libre toute interprétation globale du texte, et c’est finalement plutôt une sorte de fusion qui s’opère ici entre le son instrumental et la voix, qui ajoute cependant cet arrière-plan signifiant.

Toute autre est la démarche de Gérard CONDE dans Il était une fois... pour violoncelliste raconteur (1977, révisée en 1981), puisque le compositeur s’appuie ici réellement sur un texte dont la sobre diction en permet une complète intelligibilité 304 , même si ce texte, situé dans l’univers du conte (évocation du personnage emblématique du Petit Chaperon Rouge), conserve par ailleurs toute sa part de mystère et de sous-entendus. L’instrument assume alors dans ce contexte plusieurs fonctions : d’une part construire une sorte d’écrin à cette diction, mais aussi prolonger la suggestion amorcée par le texte [cf. p.4 : “ ce qui venait de se produire devant eux était et resterait peut-être sans précédent... ”, les trois systèmes de musique purement instrumentale qui suivent sont comme l’expression de ce qui est contenu dans les points de suspension], et même si le compositeur demande expressément de “ veiller à éviter toute impression illustrative dans la partie musicale qui garde son indépendance vis-à-vis du texte ” 305 , lorsque le texte disparaît (p.7-8), laissant place à un moment de suspense, le violoncelle adopte des modes de jeu plus suggestifs, tels le frottement de l'archet sur le cordier, le jeu au-delà du chevalet (arco ou col legno tratto), des glissandi d'harmoniques ou encore des percussions sur la caisse de l'instrument, tandis que l’instrumentiste émet des sifflements, claquements de langue, bruits de souffle à l’imitation du vent pour rendre compte des événements insolites en train de se produire.

Notes
304.

Cf. Note du compositeur pour l'exécution : “ La diction du texte devra toujours sembler naturelle. Les indications rythmiques [...] en suggérant la plus ou moins grande rapidité du débit verbal, ne visent qu'à faciliter la coordination entre le récit et la musique. [...] on devra donc chercher une façon naturelle et intime de raconter l'histoire qui s'insère dans l'écriture instrumentale et la complète sans la déranger. ”

305.

Note du compositeur pour le travail et l’interprétation de la pièce (document C.D.M.C.).