b - Influence de l’Ecole de Vienne

L’influence de l’Ecole de Vienne est aussi tout à fait notable dans ce domaine et on remarque que les compositeurs qui se situent dans cette lignée sont particulièrement sensibles à l’importance du timbre, susceptible de souligner la structure sérielle par ailleurs si difficilement perceptible. Ainsi, la Suite op.84 (1939) de KRENEK, tout en atteignant une grande unité par le biais de son utilisation très restreinte des possiblités sérielles, parvient-elle tout au long de ses cinq brefs mouvements à renouveler considérablement les sonorités, et, dans un souci d’équilibre et de diversité, le compositeur a su justement exploiter une assez grande variété de timbres, que ce soit par le biais de différents modes de jeu : arco / pizzicato, sul ponticello / normal ..., mais aussi par le jeu des nuances et des registres :

Exemple n°75 : E. KRENEK,
Exemple n°75 : E. KRENEK, Suite op.84, 1er mvt (Andante affettuoso), mes. 7 à 9.

Copyright 1942 by Schirmer, USA, 39647 C.

C’est encore par le jeu des registres que Hans Werner HENZE parvient à donner cette même diversité de couleurs aux neuf courtes pièces qui constituent sa Serenade (1949), ainsi que par l’alternance du jeu pizzicato et arco, parfois assez systématique (cf. n°2, Poco Allegretto, n°6, Tango et n°9, Menuet). Le septième mouvement, Allegro marciale, fait aussi intervenir de brefs effets percussifs avec le jeu col legno sur les deux cordes graves à vide.

Quant à la Ciaccona, Intermezzo e Adagio (1945) de DALLAPICCOLA, elle révèle elle aussi cet intérêt grandissant pour un violoncelle aux timbres multiples. Le compositeur demande à plusieurs reprises le jeu voilé et mystérieux de l’archet sur la touche (cf. Ciaccona, mes.9 et suivantes, mes.26, mes.68 ; Intermezzo, le “ quasi Trio ” mes.136, où cette nuance pp est associée à l’indication “ visionario ” ; et à la fin de l’Adagio, mes.264, sempre piu sotto voce puis come un soffio), mais aussi le jeu sul ponticello(mes.131-132 de l’Adagio) avec un trémolo à la pointe de l’archet. La transparence des sons harmoniques et du jeu sur la touche (flautando) est aussi fréquemment recherchée, contribuant au caractère fantômatique de la pièce (spettrale, mes.47, ou come un’ ombra, mes.64), comme aussi le jeu avec sourdine (souligné senza colore) dans l’Adagio final. Dans la deuxième partie de l’œuvre, Intermezzo, le timbre apparaît surtout comme un moyen fort de souligner la structure sérielle de la thématique. C’est ainsi que dans son premier énoncé, le sixième et le douzième son de la série sont mis en valeur par leur répétition en triolet de croches jouées col legno battuto, en contraste avec le jeu pizzicato de l’ensemble du déroulement :

Exemple n°76 : L. DALLAPICCOLA,
Exemple n°76 : L. DALLAPICCOLA, Intermezzo, mes.93 à 99.

Copyright 1947 by Universal-Edition, Wien, n°11686. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions Universal A.G., Wien.

Le même principe est adopté dans les quatre mesures suivantes qui font entendre la série par mouvement contraire, tandis que la reprise du thème (mes.111) le reproduit à nouveau en variant les timbres.

Même si cette importance du timbre apparaît avec la plus grande évidence chez les compositeurs inspirés par le folklore ou ceux qui ont adopté le langage sériel, elle n’est pas non plus complètement absente d’œuvres appartenant à d’autres langages. L’utilisation des harmoniques dans les deux pièces de Jacques IBERT par exemple, Etude-Caprice (1950) et Ghirlarzana (1951), révèle encore ce même souci de diversifier le timbre. Mais, dans la seconde moitié du siècle, le paramètre du timbre aquiert véritablement une fonction primordiale dans la conception des pièces pour violoncelle seul.