2 - Rôle capital de ce paramètre à partir de 1960

C’est la Sonate (1960) de Bernd Alois ZIMMERMANN, analysée précédemment, qui va sans doute marquer le point de départ d’une vision nouvelle de l’importance du timbre dans la composition d’une œuvre pour violoncelle solo, et même si elle n’introduit pas encore un nombre considérable de timbres véritablement nouveaux, elle en affirme fondamentalement le rôle structurel. Mais, à partir d’une technique de composition radicalement différente, XENAKIS va mettre lui aussi le problème du timbre au premier plan dans l’organisation de Nomos alpha (1965), faisant se succéder à une vitesse vertigineuse les sonorités les plus inouïes que l’on n’ait jamais tirées de cet instrument. 330

Chez d’autres compositeurs, tels Giacinto SCELSI ou John CAGE, c’est une conception philosophique, voire métaphysique, qui guide leur démarche compositionnelle vers cette nouvelle quête autour du son-timbre. Le compositeur italien, nourri de philosophie zen, conçoit la musique comme un moyen d’atteindre à la méditation transcendentale et concentre son travail sur le son unique pour mettre en valeur une nouvelle dimension, indépendante de la hauteur et de la durée, qu’il appelle la dimension sphérique du son, ou sa profondeur. Cette dimension rejoint en quelque sorte la partie indéfinissable du timbre, cette part mystérieuse dont parlait Antoine BONNET. 331 Quant à CAGE, persuadé que les sons ne doivent être qu’eux-mêmes, et jamais porteurs de sens, il les fait évoluer librement dans une exploration de la dimension temporelle qui favorise aussi cette sensibilité au timbre. Tous deux réfutent d’ailleurs l’appellation de compositeur et envisagent plutôt leur rôle comme celui d’un médiateur entre deux mondes, celui du sensible et celui de l’esprit.

Dans ces mêmes années, ce sont enfin surtout les développements de la musique électro-acoustique qui vont en grande partie déterminer un besoin d’élargir l’univers sonore de l’instrument et inciter les compositeurs à inaugurer de nouveaux modes de jeu capables d’engendrer les sonorités les plus inouïes. Certains compositeurs, tels Ivo MALEC, affirment d’ailleurs que la pratique de la musique électro-acoustique a véritablement transformé leur conception de la composition instrumentale : “ ‘La musique électro-acoustique a été pour moi la grande révélation qui m'a fait redécouvrir la musique instrumentale avec d'autres critères, et il est vrai que je me sens en général plus à l'aise avec celle-ci, certainement par vocation’. ” 332

Ce sont donc ces moyens par lesquels s’est élargie cette palette que nous voulons étudier maintenant : extension de l’ambitus, diversification des modes de jeu, travail sur le vibrato, utilisation des micro-intervalles et des glissandi, scordatura...

Notes
330.

Cf. MATOSSIAN, Nouritza, Iannis Xenakis, op. cit., p.236 : “ Comme il ne peut y avoir aucune élaboration de développement thématique, mélodique ou harmonique, couleur et texture occupent la scène. Des modes particuliers de jeu tels que pizzicato, col legno battuto, sul ponticello avec trémolo, harmoniques, etc., traditionnellement d’importance secondaire, revêtent une fonction essentielle - non pas une texture de remplissage, mais des caractères géologiques formant la surface de ce paysage. ”

331.

Cf. ci-dessus, note n°329.

332.

MALEC, Ivo, “ Les mal entendus, Compositeurs des années 70 ”, La Revue Musicale n°314-315, 1978, p.93.

Très récemment encore, le compositeur revenait sur cette influence : “ J’ai toujours puisé dans les techniques électroacoustiques des éléments que j’ai pu transférer utilement dans l’écriture instrumentale, et vice-versa d’ailleurs. ”, in GINER, Bruno, “ Entretien avec Ivo MALEC ”, Intemporel n°14, avril-juin 1995, p.2.