a - Pizzicatos

Le pizzicato, qui, par sa sonorité de corde pincée, était longtemps resté la seule alternative possible au timbre traditionnel obtenu par frottement de l’archet, connaît un développement dans la musique pour instruments à archet du XXème siècle qui incite les compositeurs à en raffiner encore le timbre par des modes d’attaque différenciés.

Dès 1915, la Sonate op.8 de KODALY avait généralisé l’usage du pizzicato effectué par la main gauche, technique directement issue des pratiques populaires 336 , et qui, par la mise en vibration de la corde à faible distance de l’appui du doigt formant sillet, engendre un timbre plus métallique et une résonance plus sèche, de moindre durée. 337 Le pizzicato ‘’Bartok’’ 338 , qui s’effectue en tirant verticalement la corde par rapport à la touche et avec une certaine amplitude afin qu’elle revienne percuter le bois, produisant un claquement sec, n’apparaît, lui, vraiment, en ce qui concerne notre répertoire, que dans les œuvres de la deuxième moitié du siècle, où il est alors très fréquemment utilisé.

C’est dans l’intention d’imiter des sonorités propres à la musique traditionnelle du Japon, et tout particulièrement celles du shamisen, sorte de luth à trois cordes joué avec un plectre, que Toshiro MAYUZUMI développe le jeu en pizzicato dans sa pièce Bunraku (1960). Pour rendre compte de la sonorité un peu sèche de cet instrument à cordes pincées, il a principalement recours à ces deux types de pizzicato (main gauche et ‘’Bartok’’, ce dernier étant qualifié ici de “ slap pizzicato ”), mais demande aussi dans un passage mélodique de ne jouer qu’avec un seul doigt pour retrouver un timbre encore plus proche de l’instrument traditionnel. Tandis que c’est sans aucune intention imitative, dans un pur souci de recherche timbrique qu’Ivo MALEC développe une palette de pizzicati des plus variées dans Arco 1 (1987) : exécutés avec l’ongle ou avec le pouce, avec percussion de la corde contre la touche (type ‘’Bartok’’), ou en faisant ‘’zinguer’’ deux cordes l’une contre l’autre en les maintenant rapprochées, ou encore en faisant suivre le pizzicato d’une forte oscillation du doigt de la main gauche, comme un très ample vibrato. En outre, le compositeur introduit ici encore un nouveau type de pizzicato dit "Malec" 339 (inauguré dans son œuvre pour contrebasse solo et orchestre, Octava Bassa, 1983), pizzicatoà la sonorité particulièrement mate et sourde puisque c’est le pouce, glissé entre la corde et la touche, qui fait grossièrement office de sillet, tandis que le majeur de la même main pince la corde juste au-dessus du pouce. Cette technique, outre son timbre spécifique, permet des contrepoints de pizzicati aux deux mains simultanément :

Exemple n°79 : I. MALEC,
Exemple n°79 : I. MALEC, Arco 1, Meno mosso, p.15, lettre P.

Copyright 1993 by Editions Salabert, Paris, E.A.S. 18542. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Notes
336.

Cette technique est déjà pratiquée aussi au XIXème siècle sur le violon. Anne PENESCO relève sa mention dans les Méthodes de BAILLOT, Art du violon (1834), et de BERIOT, Méthode de violon (1858), et l’usage abondant qu’en fait PAGANINI.

Cf. PENESCO, Anne, Les instruments à archet au XX ème siècle, op. cit., p.237.

337.

Outre ses caractéristiques particulières de timbre, il faut souligner dès maintenant que son emploi est principalement motivé par ses ressources en matière de polyphonie.

338.

Il convient de rappeler que ce type de pizzicato n’a pas été véritablement ‘’inventé’’ par BARTOK qui a repris une technique issue elle aussi de pratiques populaires puisque ce mode de jeu est présent dans la plupart des folklores d’Europe centrale. Il n’était pas non plus complètement inconnu du répertoire de la musique savante occidentale, et Jacques WIEDERKER donne deux exemples au XVIIème siècle qui suggèrent cette même technique, utilisée à des fins imitatives : une ‘’Battalia’’ de l’allemand H.I.F. BIBER où le compositeur précise que “ la Bataille ne doit pas être jouée avec l’archet, mais en faisant claquer les cordes de la main droite comme des pièces d’artillerie, et cela très fort ” et un passage du Combattimento di Tancredi e di Clorinda (1624) de MONTEVERDI où celui-ci indique qu’ “ ici, on pose l’archet et on tire très fort sur les cordes avec deux doigts. ”

Cf. WIEDERKER, Jacques, Le violoncelle contemporain, op. cit., p.25-26.

339.

Dans la page explicative des différents symboles utilisés dans la partition, le compositeur donne les consignes suivantes pour l’exécution du Pizzicato Malec : “ Le pouce de la main droite (ou de la main gauche) glisse le long de la corde (latéralement) sans jamais la quitter et en la tenant écartée de la touche. Il détermine ainsi la hauteur, tandis que le médium de la même main pince la corde juste au-dessus du pouce. Cela donne un son mat. Le pouce provoque un léger gliss. permanent. Le jeu des deux mains (sur deux cordes différentes) est possible. ”