b - Sons obtenus par frottements autres que le traditionnel frottement de la mèche de l’archet sur la corde

C’est déjà par l’emplacement de l’archet et son point de contact avec la corde que le timbre avait commencé à se diversifier dès le tout début du siècle, selon que l’archet se place normalement entre la touche et le chevalet, ou bien plus près de la touche (sul tasto) pour une sonorité plus douce, ou près du chevalet (sul ponticello) pour un timbre plus riche en harmoniques. Dans Domino II (1987), Philippe BOIVIN réalise une véritable ‘’registration’’ de la position de l’archet pour laquelle il recourt à une notation spécifique sur un système de trois lignes situé au-dessus de la portée :

Exemple n°80 : P. BOIVIN,
Exemple n°80 : P. BOIVIN, Domino II, p.3, 1er système.

Copyright 1993 by Editions Salabert, Paris, E.A.S.18627. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Les compositeurs vont d’ailleurs encore renchérir sur la position sul ponticello en demandant un jeu de l’archet franchement sur le chevalet afin de produire un son très granuleux. Ainsi, Tristan MURAIL, distingue-t-il déjà dans sa pièce C’est un jardin secret... (1976) le jeu habituellement qualifié de sul ponticello, et noté ici “ Sp ” sur la partition, de celui véritablement sur le chevalet, noté “ ISpI ” pour lequel il précise : “ très haut sur le chevalet (les harmoniques du son joué se dégagent fortement et supplantent presque le son fondamental) ”. Avec le son qualifié de “ son bridge ”, XENAKIS va encore au-delà dans Kottos (1977), puisque le timbre requis “ est un grincement irrégulier à l’oreille de l’arco normal sans création de hauteur. ” Le compositeur en diversifie cependant encore le caractère en fonction de la corde (ou des cordes) sur laquelle se place l’archet et joue par ailleurs constamment sur le glissement progressif de l’archet qui le ramène à la position plus commune du son ponticello, visant à produire ainsi un continuum de timbre, de la même manière qu’il explore le continuum de hauteurs par le biais du glissando.

Exemple n°81 : I. XENAKIS,
Exemple n°81 : I. XENAKIS, Kottos, mes.19-21.

Copyright 1977 by Editions Salabert, Paris, E.A.S. 17296. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Dans Incisa (1982), DUSAPIN reprend aussi ce mode de jeu sur le chevalet (cf. mes. 56-58 : “ progressivement sur le chevalet, avec beaucoup d’harmoniques ”, ou la fin, mes.110-112), précisant bien, dans les instructions initiales, qu’“ il doit y avoir une différence de timbre très claire entre l’indication ‘’sul ponticello’’ et celle de ‘’chevalet’’. Cette dernière doit être effectivement jouée sur la corde, exactement au niveau du bois du chevalet. ”

Si l’archet reste encore le plus souvent ‘’l’outil’’ pour produire une action de frottement, les lieux investis ne sont donc plus exclusivement les cordes, ou du moins la partie traditionnement utilisée pour leur mise en vibration. Dès le début des années soixante, PENDERECKI avait exploré d’autres lieux de frottement qui vont être largement utilisés dans son Capriccio per Siegfried Palm (1968). Le jeu entre le chevalet et le cordier produit des sons non définis a priori mais situés dans un registre suraigu, étant donné la faible longueur de corde vibrante et la très forte tension. Le frottement de l’archet sur le cordier génère, lui, un souffle d’assez faible intensité mais d’autant plus enrichi de résonances que l’on se rapproche de la pique. Il est encore demandé dans cette œuvre un frottement “ court et fort ” sur le côté du chevalet qui suscite un grincement doublé d’un sifflement. Tous ces modes de jeu, sans être ‘’orchestrés’’ avec la même virtuosité, apparaissent ensuite dans de nombreuses œuvres pour violoncelle seul, venant ainsi renouveler considérablement la palette des timbres émis par l’instrument.

Mais dans certains cas, l’archet est aussi abandonné pour laisser directement la main frotter, ou plutôt ‘’caresser’’ soit les cordes, soit la caisse de l’instrument. Ce ne sont plus que souffles ténus qui nécessitent de bonnes conditions d’écoute, ou d’enregistrement, pour prendre tout leur sens. Nous y reviendrons un peu plus loin de manière détaillée dans notre étude de Pression (1969) d’Helmut LACHENMANN.