3 - Travail sur le vibrato

Considéré dans les siècles passés comme “ ornement parmi d’autres à utiliser à bon escient ” 351 , c’est seulement vers 1840, sous l’influence du violoniste PAGANINI et du chanteur RUBINI, que se développe effectivement la pratique du vibrato, en particulier avec le violoncelliste Alexandre BATTA, et, à partir de cette date, le vibrato va constituer un élément d’expression essentiel dans le jeu des instruments à archet et du violoncelle en particulier. 352 Représentant une composante essentielle de la qualité spécifique du jeu de l’instrumentiste et donc, d’une certaine manière, de son timbre personnel, il a longtemps été laissé sous l’entière responsabilité de l’interprète. Ce n’est que dans cette deuxième moitié du siècle que les compositeurs, prenant conscience du rôle qu’il peut jouer, vont le considérer comme un véritable paramètre constitutif du timbre, le notant d’une manière toujours plus précise, cherchant à en diversifier l’utilisation et les caractéristiques, et allant parfois aussi jusqu’à l’éliminer totalement pour obtenir un son pur et neutre sur le plan expressif. 353 Le vibrato comporte en réalité deux paramètres indépendants l’un de l’autre : son amplitude (c’est-à-dire l’importance de la variation subie par la fréquence du son) et sa vitesse (c’est-à-dire le nombre d’oscillations produites dans un temps donné). Ces deux variables sont d’ailleurs bien souvent confondues dans les indications portées par les compositeurs, qui semblent plutôt privilégier sa vitesse, mais l’amplitude peut cependant parfois être précisée, en particulier lorsqu’il est demandé d’effectuer un vibrato au quart de ton (cf. Microtono,1981, de Joan GUINJOAN).

Giacinto SCELSI est sans aucun doute le premier compositeur à travailler de manière tout à fait consciente sur cette composante du timbre que représente le vibrato, en demandant dans sa partition de Trilogia (1956-65) trois types différenciés de vibrato : oscillation ample, oscillation moyenne et oscillation serrée. Ces effets sont particulièrement exploités au début et à la fin du premier mouvement de Triphon, au début et à la fin de Dithome, et dans les premier et troisième mouvements de Ygghur. Dans cette œuvre d’écriture microtonale ces effets de vibrato renforcent encore cette constante mobilité autour du son qui contribue à en enrichir son timbre.

Mais l’écriture microtonale peut aussi conduire le compositeur à vouloir exclure totalement le vibrato qui vient brouiller la perception des micro-intervalles. C’est ainsi que les deux œuvres pour violoncelle seul de XENAKIS, Nomos alpha (1965) et Kottos (1977) sont à jouer entièrement sans vibrato, le compositeur précisant en outre pour la deuxième pièce : “ ‘pas de sons ‘’jolis’’ mais âpres, pleins de bruit, partout sauf aux harmoniques’. ”

Chez un compositeur comme Marc MONNET, il semble qu’il y ait une volonté de rejeter le caractère par trop expressif du jeu de la plupart des violoncellistes en bannissant complètement le vibrato. Dès sa première œuvre, Fantasia semplice (1980), deux de ses mouvements sont à jouer sans vibrato, et dans les trois œuvres suivantes le compositeur précise au début de la partition qu’elles sont à jouer “ Toujours sans vibrato (sauf indication contraire) ”, là encore, sans doute en raison d’une écriture microtonale, mais aussi dans un souci de précision par rapport à une écriture d’une grande subtilité, ainsi que le compositeur l’indique lui-même sur la partition de De quelque chose qui pourrait être autre chose sans savoir vraiment s'il s'agit de la chose elle-même ... (1989) : “ Attention ! Cette musique ne peut vivre que dans un extrême raffinement. Il sera donc indispensable d'observer strictement la notation. L'interprétation viendra par deça la lecture la plus rigoureuse. ”

Comme on vient de le voir, le non vibrato peut s’appliquer à l’ensemble d’une œuvre, ou encore à certains de ses mouvements, en fonction de leur caractère spécifique. Ainsi, Georges APERGHIS, dans deux de ses Quatre Récitations (1980), demande un son sans vibrer. La première, qui est “ conçue comme une certaine coloration du silence ” 354 , se situe intégralement dans la nuance pppp et ses formules itératives sont jouées col legno tirato (avec un peu d’archet), ce qui lui confère un caractère de bruissement furtif où la hauteur du son est de peu d’importance, le vibrato y aurait donc été superflu, voire même nuisible. En ce qui concerne la troisième de ces Récitations, son registre très aigu, la présence de sons harmoniques et un retour périodique au Do grave, corde à vide, justifient aisément l’absence de vibrato.

Mais chez la plupart des compositeurs le non vibrato n’est pas un mode de jeu généralisé et il participe de la variabilité recherchée tout au long de la pièce en fonction de l’expression et du timbre. C’est seulement dans certaines séquences du dernier mouvement, Versetto, de sa Sonate (1960) que ZIMMERMANN exploite cette dimension du timbre. La raréfaction du discours et le raffinement des sonorités de cette page à l’esthétique toute webernienne, incitent le compositeur à travailler sur les possibilités expressives de ces différentes modulations du vibrato, associées aux modes de jeu et emplacements d’archet. On relève ainsi successivement :

Certains compositeurs, comme Philippe FENELON, intègrent véritablement cette variabilité du vibrato dans leur écriture. Dans Dédicace (1982), celui-ci utilise de manière assez fine et souvent juxtaposée trois degrés de vibrato : normal (“ v ”), molto (“ vm ” ou “ mv ”), et non vibrato (“ nv ”) :

Exemple n°84 : P. FENELON,
Exemple n°84 : P. FENELON, Dédicace, p.4, 6ème système.

Copyright 1984 by Editions Amphion, Paris, A.428. Reproduit avec l'aimable autorisation des Editions Max Eschig, Paris.

Notes
351.

DAUPS, Michel, Un instrument romantique, le violoncelle en France de 1804 à 1915 (La facture, les interprètes, l'évolution technique), op. cit., p.265.

352.

Voir à ce sujet PENESCO, Anne, Les instruments à archet dans les musiques du XX ème siècle, op. cit., chapitre VII - Le vibrato, p.85-87.

353.

On notera d’ailleurs que là encore, le poids de la tradition et des habitudes acquises se fait sentir, comme le remarque Jacques WIEDERKEHR à propos du ‘’son blanc’’ : “ Ajoutons que ces modes de jeu sont très délicats, plus qu’il n’y paraît à première lecture. Il faut en effet se faire violence pour ne pas vibrer alors que l’habitude en est prise depuis le début des études. Le geste est devenu machinal afin de rendre le son plus flatteur ; mais quant à une bonne réalisation du son blanc, il suffit d’appuyer les doigts de la main gauche très fortement sur les cordes pour que le son devienne très pur dans toutes les nuances. ”, WIEDERKER, Jacques, Le violoncelle contemporain, op. cit., p.8.

354.

Cf. programme de la création (Rencontres Internationales d'Art Contemporain 1-07-80), cité en Annexe n°3.