TROISIEME PARTIE : L’ŒUVRE POUR VIOLONCELLE SEUL, UN DEFI POUR LE COMPOSITEUR ET UN DEFI POUR L’INTERPRETE

‘“ Une œuvre pour instrument seul est une ascèse. 394
Pour celui qui l'écrit ;
qui se doit de pénétrer la nature profonde de l'instrument, de dégager ses possibilités expressives les plus caractéristiques et d'en maîtriser la technique, afin de mettre en évidence l'ensemble de ses qualités. 
 Pour celui qui l'interprète ;
qui doit, par son jeu et sa musicalité, magnifier les vertus de son instrument et, seul avec lui et partant de lui, donner l'impression.
L'œuvre ainsi transmise à l'auditoire doit donner à celui-ci le sentiment qu'elle jaillit pour lui - et grâce à lui. ” 395
André JOLIVET’

André JOLIVET qui a lui-même beaucoup écrit pour instrument seul, que ce soit pour le violon, l'alto, le violoncelle, ou encore la flûte ou la clarinette, résume parfaitement bien ici l’essentiel de la problématique posée par la réalisation d’une pièce pour instrument seul, que ce soit tant du côté du compositeur que de celui de l’interprète.

Nous choisirons, dans cette dernière partie, d’envisager les problèmes posés par notre répertoire à ses acteurs principaux, c’est-à-dire les problèmes compositionnels et ceux liés à l’interprétation. Dans les deux premiers chapitres, nous chercherons à montrer de quelle manière les compositeurs ont résolu, d’une part le problème de la nécessité polyphonique sur le violoncelle seul, et, d’autre part, celui de l’adaptation à de nouveaux langages d’un instrument initialement pensé et conçu en relation étroite avec le langage tonal. Le troisième chapitre, enfin, sera consacré aux interprètes et à leur rôle déterminant dans le développement de ce répertoire.

De même que certains compositeurs ont pu considérer la réalisation d’un quatuor à cordes comme une œuvre délicate nécessitant la plus grande maturité 396 , il en est qui semblent redouter les difficultés inhérentes à la composition d’une œuvre pour instrument seul. C'est ainsi qu'Ivo MALEC écrit dans la préface de la partition d’Arco-1 : “ ‘Arco-1 pour violoncelle est ma première pièce écrite pour un instrument seul - formule qui m'a toujours paru redoutable. ”’ 397

Cependant pour nombre d’entre eux, cette difficulté même apparaît bien comme le meilleur stimulant à la création, ainsi qu’on peut le lire chez Bernd Alois ZIMMERMANN : “ ‘Il est évident que des œuvres pour instrument seul recèlent des problèmes d'ordre instrumental particuliers. Je dois admettre que ceux-ci m'ont toujours beaucoup excité et ce n'est donc pas un hasard si j'ai toujours écrit des pièces pour instruments seuls lors de la composition de grandes œuvres orchestrales, et surtout lorsqu'il s'agissait de conclure ou d'ouvrir de nouvelles phases compositionelles, de nouveaux développements.’ ” 398

François PARIS souligne bien, lui, la part importante d’imaginaire que comporte l’œuvre pour instrument seul : “ ‘elle doit être [...] le noyau qui doit évoquer, suggérer, faire exister ce qu'il y a ou ce qu'il y aurait autour de l'œuvre : le non-dit, les reflets, les prolongations imaginées ou déduites du geste instrumental, l'ombre portée du soliste’ ” 399 . En ce qui concerne la composition pour violoncelle seul, c’est très certainement en grande partie dans la réalisation d’une écriture polyphonique que se situe cette part d’imaginaire.

Notes
394.

JOLIVET écrira d'ailleurs en 1969 une œuvre pour flûte en sol ou en ut (ou clarinette), intitulée Ascèses.

395.

Propos du compositeur concernant la présentation de ses Cinq églogues pour alto seul (1967), cité in JOLIVET, Hilda, Avec...André Jolivet, op. cit., p.272-273.

396.

C’est ainsi que Gabriel FAURE attendra les derniers mois de sa vie pour entreprendre son unique quatuor à cordes, op.121 (1923-24).

397.

Et dans un interview accordé à Jean-Pierre DERRIEN pour l'émission Le Bel aujourd'hui (diffusée le 5-07-97 sur France-Musique) consacrée à un concert de ses œuvres dont Arco-1, le compositeur expliquait qu'il avait renoncé toute sa vie à écrire pour un instrument solo, notamment pour les cordes, car cela lui semblait au départ impossible. Ce sont finalement les exigences imposées par la commande d'une œuvre pour le concours du CNSM de Paris et son amour caché et jamais assouvi pour cet instrument qui lui ont permis de réaliser Arco-1.

398.

ZIMMERMANN, Bernd Alois, “ De la signification nouvelle du violoncelle dans la nouvelle musique ”, op. cit., p.68.

399.

Document C.D.M.C..