c - Les procédés cadentiels

On vient de voir que les accords étaient justement l’un des moyens utilisés pour asseoir la cadence. Ce n’est cependant pas le plus fréquent et la plupart du temps, BACH a encore recours, ici, à des techniques de polyphonie linéaire. C’est ainsi que les cadences sont généralement définies par les notes de basse qui peuvent former une succession de quintes descendantes avant le mouvement cadentiel proprement dit, comme à la fin de l’Allemande de la Suite IV (mes.36 à 40) :

Exemple n°99 : J.S. BACH,
Exemple n°99 : J.S. BACH, Suite IV, Allemande, mes.39-40.

Copyright 1929 by Editions Salabert, Paris, SECA 16. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Les épisodes cadentiels peuvent enfin rejoindre les techniques sur pédales évoquées plus haut, avec appui successif sur la pédale de dominante puis sur celle de tonique :

Exemple n°100 : J.S. BACH,
Exemple n°100 : J.S. BACH, Suite I, Prélude, mes.37 à la fin.

Copyright 1929 by Editions Salabert, Paris, SECA 16. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditeurs.

Ici, la tension contenue dans l’harmonie de dominante sous-entendue à travers la pédale de est renforcée par le biais d’une montée chromatique sur plus d’une octave. Elle se résout provisoirement sur l’harmonie de tonique dans une formule arpégée qui introduit une pédale de tonique à la voix supérieure (mes.39). La mesure 40 renouvelle la tension en faisant entendre l’harmonie de dominante avec pédale supérieure de tonique, avant d’enchaîner les harmonies de dominante-tonique pour une résolution définitive.

On constate, à travers ce qui vient d’être dit, l’extrême diversité de techniques d’écriture déjà déployées par BACH dans ses Suites pour violoncelle solo pour atteindre à cette plénitude polyphonique. Les compositeurs du XXème siècle qui se sont intéressés à ce medium ont largement puisé dans ce modèle d’exception.

Deux musicologues et théoriciens allemands ont d’ailleurs contribué au début du siècle à l’analyse et à la compréhension de ces techniques. Il s’agit d’une part d’Ernst KURTH qui publie à Bern en 1917 un ouvrage intitulé Grundlagen des linearen Kontrapunks, Einführung in Stil und Technik von Bach 's melodischer Polyphonie 408 , dont le troisième chapitre traite tout particulièrement du style mélodique de BACH et très précisément de cette polyphonie latente contenue dans la ligne monodique des œuvres pour instruments à archet solo. 409 Quant à Heinrich SCHENKER, c’est à l’éclairage de sa théorie de l’Urlinie qu’il analyse les textures de l’œuvre de BACH. 410

Des études scientifiques récentes (Albert BREGMAN, 1978, 1985) sur les phénomènes de perception et sur la psychoacoustique ont d’ailleurs permis de préciser le fonctionnement des procédés de polyphonie imaginaire utilisés par les compositeurs baroques, en particulier celui de la distribution alternée des voix sur deux registres que BREGMAN qualifie de “ fission mélodique ” ou “ ségrégation en flux auditifs ”. 411 Et Jean-Claude RISSET rappelle “ ‘que la séparation fréquentielle nécessaire à la fission mélodique est liée moins à la fréquence fondamentale - à la ‘’hauteur musicale’’ - qu’à la hauteur spectrale, la brillance, dimension du timbre.’ ” 412

Si ces notions ont été perçues très tôt de manière plutôt intuitive, on comprend que leur compréhension en ait permis aussi une maîtrise plus affinée dans les œuvres composées à la fin de ce siècle.

Notes
408.

KURTH, Ernst, Grundlagen des linearen Kontrapunks, Einführung in Stil und Technik von Bach 's melodischer Polyphonie, Bern, Akademische Buchhandlung von Max Drechsel, 1917.

409.

KURTH, Ernst, op. cit., p.310 : “ La ligne monodique de Bach est déjà conçue comme remplie d’une polyphonie latente et ne représente rien d’autre qu’une polyphonie concentrée. Cela vient notamment aussi de la transformation particulière de ces phrases pour un jeu polyphonique sur l’orgue et le piano. (cf. œuvres pour violon transcrites pour le clavier) ”

410.

SCHENKER, Heinrich, Das Meisterwerk in der Musik, Ein Jahrbuch, I et II, Vienne, Drei-Masken Verlag, 1925.

411.

BREGMAN, Albert S., “ Timbre, orchestration, dissonance et organisation auditive ”, Le timbre, métaphore pour la composition, op. cit., p.209.

412.

RISSET, Jean-Claude, “ Timbre et synthèse des sons ”, Analyse musicale n°3, avril 1986, p.17.

La définition qu’il donne de la ‘’brillance’’ est la suivante : “ Les espaces de timbre révèlent généralement une dimension qu’on appelle brillance, ou hauteur spectrale, et qui est étroitement corrélée à la position du centre de gravité du spectre sur l’axe des fréquences (grave-aigu). ”, ibid., p.16.