1 - Les œuvres pour violoncelle solo et bande magnétique.

La première technique adoptée historiquement est l’adjonction d’une bande magnétique pré-enregistrée qui “ accompagne ” dans une diffusion par haut-parleurs, l’instrument solo lors de l’exécution de la pièce en direct. 434 Elle n’a cependant pas donné naissance à un catalogue d’œuvres très abondant, car, si cette démarche est assez séduisante et relativement facile à mettre en œuvre pour le compositeur, elle présente aussi un certain nombre de problèmes pour l’interprète, en particulier celui de la synchronisation d’un jeu en direct avec le déroulement fixe de la bande magnétique. 435

Dans le cadre de ce répertoire avec bande nous avons relevé principalement deux démarches différentes. Dans les œuvres qui suivent, les compositeurs insistent sur le fait que la bande ne comporte que des sons issus du violoncelle et assume donc en quelque sorte une fonction de “ double ” de l’instrument. C’est ainsi que Pierre Alain JAFFRENNOU, à propos de sa Suite pour violoncelle et bande (1986), parle d’un “ duo entre l’instrument et la bande ” dont l’unité repose “ sur le principe d’un timbre unique, celui du violoncelle ”. 436 De la même manière, le titre de la pièce de Patrick LENFANT, De ma mémoire...l'ombre (1987), fait d’emblée allusion à la fonction “ mémorisante ” de la bande, qui, ici encore, n’utilise que des sons issus originellement du seul violoncelle. 437 Le compositeur résume ainsi sa démarche : ‘“ L'écriture instrumentale et électroacoustique a cherché à établir un lien le plus étroit possible, volontairement ambigu parfois, presque organique, entre les deux matériaux sonores.’ ”

On est donc bien dans ces deux cas en présence d’une polyphonie homogène qui ‘’dédouble’’ en quelque sorte l’instrument par le biais de la technique d’enregistrement préalable d’un matériau émis originellement par le même instrument.

Dans une toute autre optique se situent certaines œuvres avec bande magnétique qui cherchent au contraire à confronter l’instrument à un univers sonore totalement étranger. Le compositeur ne vise plus alors à réaliser un contrepoint de nature plutôt homogène, mais au contraire à établir des oppositions parfois violentes. C’est le cas, par exemple de la pièce de Jean-Marc CHOUVEL, De ma fenêtre (1998) qui part d’un montage sonore de bruits environnants et y intègre ensuite la présence du violoncelle qui a pour fonction première de faire “ ‘prendre une certaine distance par rapport à cette présence immédiate de l’image’ ” 438 à laquelle les sons enregistrés font trop directement référence. De par la démarche compositionnelle, telle qu’elle est décrite par son auteur 439 , on peut donc considérer que c’est le violoncelle qui réalise ici un “ contrepoint ” au montage sonore pré-enregistré, mais dans cette pièce, l’équilibre entre les deux sources et matériaux est tel qu’on ne sait attribuer de prépondérance à l’un ou à l’autre.

La pièce d’Alain LOUVIER, Raga (1977), offre, elle, plutôt une situation proche de la musique de chambre, avec l'accompagnement d'une bande enregistrée qui utilise “ ‘uniquement des sons de clavecin en "réinjection" et est aussi improvisée à la manière d’un Raga’ ”. Cette œuvre évite d’ailleurs l’écueil des contraintes liées au déroulement fixe de la bande magnétique, du fait même du caractère improvisé de la partie de violoncelle.

Notes
434.

La première œuvre de ce type est Synchronisms 3 (1964) de l’argentin Mario DAVIDOVSKY.

435.

Cf. Entrevue B. CARAT avec Pierre STRAUCH, p.1 :

“ Tout d’abord, il y a les pièces simplement avec bande [...]. C’est le dispositif le plus fréquent au départ : l’instrument acoustique est confronté à une bande pré-enregistrée où les repères de mise en place sont purement acoustiques. La synchronisation entre les deux mondes se réalise au prix de beaucoup de concentration de la part de l’interprète, puisqu’elle est rigide. Sans la possibilité de jouer une fraction de seconde plus longue ou plus courte à certains endroits, car il faut retrouver des accents ou d’autres voix instrumentales traitées, modifiées ou non. Dans ce cas là, c’est souvent une multiplication de l’instrument. On se retrouve donc en situation de musique de chambre avec un dédoublement de l’instrument. ”

436.

Voir commentaire complet du compositeur dans l'Annexe n°3.

437.

Cf. commentaire du compositeur :

“ Réalisé à partir du violoncelle le matériau de la bande ne contient strictement aucun son d'origine électronique et n'a été soumis à aucun des traitements "classiques" de transformation radicale. Seuls : filtrages, mixages et montages complexes, associés aux modes de jeu utilisés lors de la prise de son, ont présidé à son élaboration en ayant soin de conserver-plus ou moins identifiable-trace de la texture instrumentale originelle. ”

438.

Cf. commentaire du compositeur dans l’Annexe n°3.

439.

Ibid. : “ Pendant deux ans, j’ai effectué des enregistrements à partir de la fenêtre de mon appartement. J’ai accumulé petit à petit quelque chose comme quatre heures de matériau sonore.

[...] Faire une pièce, alors, avec ce matériau ?

La virtuosité du montage ne pouvait pas être l’élément unique du travail musical. Il fallait autre chose, à commencer par éviter une segmentation trop volontariste, et ne cerner au fond que l’anecdote. Ainsi pour prendre une certaine distance par rapport à cette présence immédiate de l’image, il m’a semblé tout à fait opportun d’y mêler les sons du plus intimement humain des instruments : le violoncelle. Un violoncelle comme explosant, lui aussi, de sonorités inouïes, imitatif presque, lyrique, en retour. ”