2 - Le système de Tape delay

Dans cette quête de l'instrument en même temps unique et multiple, il faut évoquer ici, en relation avec le développement de nouvelles technologies, l'utilisation par certains compositeurs du système de tape delay (cassette à ligne de retard digital) qui organise la répétition, décalée dans le temps, de ce qui est joué par le violoncelle, avec les possibilités supplémentaires de variation du tempo et de transposition des hauteurs. Dans ce type de pièces, l’illusion de polyphonie instrumentale est donc totale puisqu’il y a identité de timbre et que l’on ne peut discerner la source instrumentale de ses doubles électro-acoustiques. Par ailleurs, ce système a l’avantage de ne pas présenter la même rigidité, fixité, que l’utilisation de la simple bande magnétique et situe déjà l’interprète dans une position de “ créateur ”. 440

Le titre de la pièce de Roger SMALLEY, Echo II (1979), en révèle en partie le processus puisque “ ‘tout ce que le violoncelliste joue est enregistré et repassé deux fois, avec des intervalles de deux secondes et demie et cinq secondes’ ”, créant ainsi un double phénomène d’écho qui réalise “ un canon en trois parties ”. Le principe de croissance continue qui gouverne la composition conduit à une polyphonie “ élaborée et frénétique ” dans la section finale où les glissandi semblent s’enchaîner comme à l’infini, sur fond de tremolo. L'interprète, Alexander BAILLIE, qualifie cette œuvre de "trio-violoncelle auto-généré". 441

Dans le cas de l’œuvre de Jonathan HARVEY, Ricercare una melodia (1985) 442 , le système quadriphonique de "tape delay" répète quatre fois et à trois secondes d'intervalle ce que joue le violoncelliste, élaborant ainsi une polyphonie à cinq voix. Le titre de la pièce évoque là encore le processus, puisqu’il emprunte à cette forme instrumentale de l’époque renaissante et baroque, écrite en contrepoint imitatif, ancêtre de la fugue. Mais le compositeur joue en outre, au cours de la pièce, sur la vitesse des répétitions qui deviennent deux fois plus lentes, entraînant les voix électroniques vers le registre extrême grave, aux limites de l’audible, alors que se dégage clairement le solo instrumental, maintenant distingué de l’ensemble par un registre aigu qui lui est propre. 443

Notes
440.

Cf. CARAT, Benjamin, op. cit., p.26-27 : “ ... le déroulement de l’œuvre n’est pas figé, l’enchaînement des éléments s’impose de lui-même par la compréhension des gestes musicaux - phrasé, dessins rythmiques ou dynamiques, etc... L’interprète engendre la partie du dispositif électronique par son propre jeu instrumental, il en assure la cohérence formelle par cette mise en rapport entre le passé - ce qu’il vient de jouer - et le présent - ce qu’il joue maintenant tout en écoutant le passé. L’interprétation se situe exactement à cette conjonction, où se trouve la possibilité de modeler le déroulement rythmique, dynamique et stylistique de l’œuvre. ”

441.

in livret du CD NMC D019 artists series.

442.

Cette œuvre est écrite originellement pour trompette et a été adaptée spécialement par le compositeur pour la violoncelliste Frances Marie UITTI.

443.

Cf. commentaire du compositeur : “ Chaque répétition successive baisse d'une octave, entraînant les sonorités et les cadences vers leurs limites inférieures. ”