3 - Les dispositifs en “ temps réel ”

Fruits des dernières avancées technologiques en matière informatique, ces dispositifs font intervenir l’ordinateur qui traite immédiatement les données fournies par le jeu de l’instrumentiste (hauteurs, durées, intensités ...). 444 Ils permettent une véritable “ interaction ” entre interprète et électronique et rendent à l’instrumentiste sa liberté de soliste, tout en produisant un “ environnement sonore ” qui contrepointe son jeu en direct. Ils peuvent en outre admettre une forme d’imprévisibilité, rejoignant ainsi, d’une certaine manière, la tendance aléatoire des années soixante.

La première œuvre de ce répertoire à utiliser ce type de dispositif est Chant d’Aubes (1991) de Robert PASCAL. Le dispositif est composé de deux appareils producteurs de son : un synthétiseur et un échantillonneur 445 reliés à une table de mixage entièrement automatisée, l’ensemble étant coordonné par un ordinateur.

Si le titre de la pièce fait allusion à la chanson de troubadour de type ‘’alba’’, c’est surtout en référence à la très grande liberté de ces chants qui a séduit ici le compositeur. La première partie est en effet conçue comme un long prélude de caractère improvisé, tout à fait dans l’esprit de ceux des clavecinistes français du XVIIème siècle, comme Louis COUPERIN, et son extrême liberté rythmique nécessitait que la partie électro-acoustique puisse s’adapter à une telle souplesse du jeu de l’instrumentiste.

Exemple n°129 : PASCAL Robert,
Exemple n°129 : PASCAL Robert, Chant d’Aubes, début.

Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Pour que “ ‘l’ordinateur soit ‘’à l’écoute’’ de l’interprète’ ”, le compositeur a prévu deux types de déclenchement : l’un par un assistant 446 qui suit le déroulement de l’œuvre sur la partition et synchronise le démarrage des séquences électro-acoustiques en fonction des repères portés sur celle-ci, l’autre mode de déclenchement se fait automatiquement par rapport aux sons captés directement sur le violoncelle par le biais d’un petit micro-contact placé dans l’ouverture du cœur du chevalet et convertis en signaux numériques de type MIDI pour être interprétés par l’ordinateur. Tous les sons issus du violoncelle, du synthétiseur et de l’échantillonneur peuvent être plus ou moins amplifiés ou transformés selon les séquences, et, par le procédé de ‘’réverbération’’, le compositeur vise à obtenir une “ acoustique élargie ” comparable à celle d’une église. Dans la coda de cette œuvre, il s’établit un véritable ‘’dialogue’’ entre l’interprète et le dispositif, dans la mesure où le violoncelliste doit lui-même construire les réponses du dispositif 447 , tout en générant des figures aléatoires.

Un certain nombre des techniques évoquées dans ce chapitre peuvent se trouver associées au sein d’une même œuvre afin d’en décupler la dimension polyphonique. C’est ce que nous voudrions montrer à travers un exemple particulièrement extrêmiste, Time and Motion Study II de Brian FERNEYHOUGH.

Notes
444.

Rappelons que les premiers développements de ces dispositifs de traitement du son en ‘’temps réel’’ ont été réalisés dans les années soixante-dix à l’IRCAM, avec la mise au point de la machine

4 X par l’ingénieur Giuseppe di GIUGNO. La première grande réalisation musicale utilisant ce dispositif est Répons (1981) de Pierre BOULEZ, œuvre composée pour vingt-quatre instrumentistes et six solistes.

445.

Là encore, les sons produits électroniquement sont proches de ceux de l’instrument puisque ce sont les notes mêmes d’un violoncelle qui ont été mémorisées dans l’échantillonneur.

446.

Le violoncelliste Benjamin CARAT, qui interprète cette œuvre et l’a travaillée sous la direction du compositeur, insiste sur le rôle de cet assistant musical qui “ bien plus qu’un technicien, [...] est au centre de la réalisation musicale de l’œuvre ; il connaît intimement le déroulement de la partition ainsi que son contenu musical. L’interprète prépare l’exécution avec son assistant musical comme s’il s’agissait d’un partenaire de musique de chambre [...]. ”

Cf. CARAT, Benjamin, Le nouveau rapport interprète-instrument dans les œuvres pour violoncelle nécessitant un dispositif électronique, op. cit., p.30.

447.

Dans cette séquence tout à fait libre, le violoncelliste sait qu’en jouant un grave il déclenche une réponse des machines sur un son très grave, tandis que s’il joue une harmonique plus aiguë, les appareils répondent par deux notes voisines, au quart de ton, de la sienne.