Dans certaines pièces, il peut encore être demandé à l’instrumentiste de changer progressivement l’accord d’une corde tout en continuant à jouer, ce qui a pour effet de produire un glissando. Dans Klingende Buchstaben (éd.1990), pièce qu’Alfred SCHNITTKE construit sur les lettres du nom de son dédicataire, Alexander IWASCHKIN 489 (La-Mi-La-Ré-Mi) et celles de sa propre signature (La-Mib-Do-Si), la scordatura à la fin de la pièce s’effectue tout en jouant, d'abord sur la corde de Sol que l'on fait descendre par demi-tons successifs (Solb-Fa-Mi-Mib) puis sur celle de Do (Si-Sib-La-Sol), produisant un glissando vers le grave qui élargit l’ambitus et renforce l’effet de dissolution obtenu ensuite dans l’extrême aigu sur ses propres initiales (La-Mib = A-eS) :
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Francis BAYER, dans Perspectives (1991) demande aussi à l'extrême fin de l'œuvre de ‘“ réaliser un glissando en désaccordant progressivement la IVème corde avec la cheville ’” : le Do grave est alors abaissé à l'octave inférieure tout en passant d’un jeu à la position ordinaire à un jeu sul ponticello. Le but recherché est encore un effet de dissolution, qui ici se réalise totalement dans le grave, dans un registre mal perceptible, avec une corde tellement détendue qu’elle ne produit en réalité plus qu’un bruit mat que le compositeur demande de prolonger par un frottement de l’archet ‘“ complètement sur le chevalet, en étouffant les cordes, de manière à obtenir un bruit de souffle’ ”.
Par ses multiples enjeux qu’elle propose, enjeux harmoniques, timbriques, voire même symboliques, la scordatura s’avère donc être un moyen très efficace de renouvellement de l’instrument, qui explique cette résurgence importante constatée dans le répertoire pour violoncelle seul depuis les années soixante. L’extension même de l’ambitus est certes un atout considérable pour donner une dimension supplémentaire à la quête de multiplicité qui est engagée dans ce type de composition. Seul le poids de la tradition, qui pèse encore sur la technique instrumentale, en limite cependant toujours quelque peu l’emploi.
L’œuvre a été composée pour le quarantième anniversaire du violoncelliste solo de l’Ensemble Bolchoï de Moscou qui est aussi musicologue, expert éminent de la musique de SCHNITTKE.