Les pratiques vocales et instrumentales des siècles passés, qu’elles soient de tradition orale et populaire ou liées à l’exécution des musiques savantes, ont révélé une existence de ces intervalles plus petits que le demi-ton tempéré et, tout au long de l’histoire de la musique occidentale, les théories qui se sont succédées ont fait apparaître des discordances entre observations physiques et acoustiques du son et pratiques musicales. Pendant une courte période, à peine plus de deux siècles, ce problème semblait résolu par l’adoption d’un tempérament divisant l’octave en douze demi-tons égaux, mais d’autres traditions ont resurgi au début du XXème siècle, remettant à nouveau en cause ce fragile équilibre.
La notion de micro-intervalle, qui connaît depuis le début du XXème siècle un regain d’intérêt, n’est d’ailleurs pas sans ambiguïté, et, dans son étude Micro-Intervallité et Analyse Spectrale, Un siècle de recherches sur l’au-delà du système tempéré (1892-1992), Franck JEDRZEJEWSKI a tenté d’en définir les différentes acceptions, révélant par là-même des conceptions fort diverses selon le contexte dans lequel il est pensé et le type de langage auquel il est associé :
‘“ La définition la plus communément admise du micro-intervalle est ‘’un intervalle plus petit que le demi-ton’’. Cette définition est un peu restrictive puisqu’elle exclut certains intervalles comme l’intervalle de trois quarts de ton. En réalité, il existe au moins trois acceptions différentes du micro-intervalle. Pour certains le micro-intervalle désigne tout multiple d’une fraction entière du ton tempéré (1/3, 1/4, 2/7 etc...). C’est la définition adoptée par les adeptes de la musique microtonale. Elle exclut des intervalles comme le comma zarlinien ou la quinte pythagoricienne et conduit à une généralisation du tempérament en intervalles équi-répartis de la forme 21/n ou m1/n . C’est la définition fractionnaire du micro-intervalle. Pour d’autres, le micro-intervalle désigne tout intervalle qui se différencie des fréquences voisines de la résonnance naturelle. C’est la définition des adeptes de l’Intonation Juste. Elle partage le continuum en un ensemble de fréquences assimilables à des notes naturelles issues de la résonnance et un ensemble extérieur formé de micro-intervalles. Elle conduit à introduire deux pôles, comme autrefois consonance et dissonance, et à chercher à les circonscrire. C’est la définition équilibrée du micro-intervalle. Pour d’autres enfin, le micro-intervalle désigne toute fréquence qui n’appartient pas au système tempéré. C’est la définition fréquentielle du micro-intervalle, adoptée par certains compositeurs de musique spectrale. ” 490 ’Trois compositeurs d’origine assez différente vont initier les premières recherches sur les micro-intervalles au début du XXème siècle, et, comme l’a souligné Jean-Etienne MARIE, leurs motivations ont été de nature bien distinctes : “ une expérience acoustique et l’émerveillement d’une oreille douée d’un pouvoir de discrimination peu commun ” pour le mexicain et violoniste de formation Julian CARRILLO (1875-1965), “ un désir d’intégration dans la musique occidentale d’intervalles propres au folklore de son pays ” pour le tchèque Aloïs HABA (1893-1973) et “ la quête d’un continuum, liée à une expérience mystique d’adolescent ” pour le russe Ivan WYSCHNEGRADSKY (1893-1979). 491 Chez ces trois compositeurs, la réflexion théorique sera accompagnée par ailleurs de réalisations pratiques dans le domaine de la facture instrumentale (cithares accordées en seizièmes de ton par CARRILLO, clarinettes en quarts de ton pour HABA, pianos à plusieurs claviers pour WYSCHNEGRADSKY et HABA) 492 et de compositions qui sont, pour beaucoup d’entre elles, restées à l’état de manuscrits et ont connu une très faible diffusion. 493
JEDRZEJEWSKI, Franck, Micro-Intervallité et Analyse Spectrale, un siècle de recherches sur l'au-delà du système tempéré (1892-1992), p.113.
MARIE, Jean-Etienne, L'Homme musical, op. cit., p.27.
MARIE, Jean-Etienne, L'Homme musical, op. cit., p.46-47, rappelle toutes les expériences et les projets de facture instrumentale de ce type qui ont précédé celles de HABA et WYSCHNEGRADSKY, dès 1893 et jusqu’à la première guerre mondiale, et tout particulièrement à Berlin.
MARIE, Jean-Etienne, L'Homme musical, op. cit., p.26, donne quelques concerts où ont été jouées des œuvres de WYSCHNEGRADSKY et de CARRILLO.