Chapitre III : L’œuvre pour violoncelle seul, un défi pour l’interprète

Ces défis que l’œuvre pour violoncelle seul propose aux compositeurs constituent aussi un des meilleurs stimulants pour les interprètes. Ceux-ci ont donc été le véritable ‘’moteur’’ de toute cette production et sont au cœur de ce répertoire. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité terminer par ce chapitre et leur rendre hommage en leur donnant le dernier mot. Nous examinerons donc quels ont été le rôle et l’influence de certains interprètes dans la constitution et l’évolution de ce répertoire, ainsi que la question de la collaboration entre interprètes et compositeurs qu’il suscite.

Si certaines institutions, telles le CNSM de Paris 523 ou le Conservatoire Royal de Bruxelles 524 , dans un souci évident de faire entrer la musique de notre temps dans le répertoire des jeunes instrumentistes, ont contribué, en sollicitant les compositeurs à l’occasion des concours de fin d’études (Prix), à élargir le répertoire pour violoncelle seul, ces œuvres ne constituent bien sûr qu’une part minime de ce corpus. Les grands concours internationaux, tels les concours Pablo Casals 525 , Gaspar Cassado 526 et surtout le concours Rostropovitch 527 , ont certes aussi apporté quelques pièces majeures au répertoire. Mais la part la plus importante revient incontestablement aux interprètes qui ont su véritablement intéresser les compositeurs aux multiples possibilités dévoilées par leur instrument.

Comme nous avons pu déjà le constater, les pièces pour instrument solo sont en effet généralement, plus que toute autre œuvre, le fruit d’une amitié et d’une admiration réciproque entre compositeur et interprète. Pascal DUSAPIN exprime ainsi la relation très forte qui unit ses compositions pour instruments solistes à leurs dédicataires : ‘“ ... je peux dire que ces musiques solistes ne seraient pas ce qu’elles sont sans l’incessante causerie qui anime depuis presque quinze ans les musiciens auxquels ces pièces sont destinées et moi-même. Ils ont su m’apprendre à écrire pour eux et m’apprendre à comprendre leurs instruments. Leurs limites ne sont malheureusement que les miennes... tant leur patience au travail, leur générosité et leur compétence m’ont plus d’une fois sidéré ’” 528 , et on pourrait citer de nombreux exemples de compositeurs, comme Francis BAYER, qui nous disait à propos de sa pièce pour violoncelle seul, Perspectives, l’avoir écrite “ pour Alain Meunier, pour sa sonorité, pour son violoncelle. ” 529 Une pièce peut d’ailleurs rester un certain temps indissociablement liée à l’interprète pour lequel elle a été composée, comme le remarque Siegfried PALM : “ ‘Il y a des œuvres dans la littérature, qui sont avant tout indissociablement liées à leur interprète. Mais le temps doit faire ici son travail.’ ” 530

Le répertoire pour violoncelle seul est un répertoire particulièrement exigeant, car l’interprète y est comme mis à nu et tout ce qu’il joue est entendu avec la plus grande acuité. Ces pièces, on l’a vu, sont par ailleurs la plupart du temps d’une virtuosité extrême, dans la mesure où le compositeur a cherché à obtenir le maximum de l’instrument, voire à en dépasser parfois même les limites. Mais, outre leurs exigences techniques, ces œuvres demandent aussi à l’interprète un important investissement personnel et, pour certaines, des facultés créatrices particulières.

Enfin, comme pour tout le répertoire ‘’contemporain’’, l’interprète ne peut s’appuyer sur l’existence d’une tradition de l’interprétation et la création même d’une pièce nouvelle relève d’une expérience toujours exceptionnelle.

Dans notre Annexe n°11 "Interprètes", nous avons essayé de mettre en évidence le rôle joué par certains violoncellistes dans la constitution de ce répertoire et dans sa diffusion. Cette annexe a été en grande partie établie à partir des indications données dans les catalogues de Donald HOMUTH et Dimitry MARKEVITCH, complétées par des informations figurant dans les commentaires discographiques et par celles qui nous ont été transmises directement par les interprètes. Bien qu’étant évidemment très incomplète, elle permet cependant de donner une idée de la place de certains interprètes dans le développement du répertoire pour violoncelle seul.

Notes
523.

Par exemple, la Suite pour violoncelle seul (1968) de Roger ALBIN, Volubilis (1981) d’Edith LEJET, la Sonate brève en 3 mouvements (1985) de Marcel LANDOWSKI, Arco 1 (1987) d’Ivo MALEC, Soleil blanc (1991) de Marc BLEUSE, Un air autre... détaché, op.27 (1998) de Bruno DUCOL.

524.

La Suite florentine (1984) d’André AMELLER a été composée pour cette institution.

525.

On peut signaler les œuvres commandées à deux compositeurs hongrois pour le Concours international Casals de Budapest 1980 : The last shepherd op.30 (1978) de Sandor BALASSA et Solo Suite n°1 (1978) de Zsolt DURKO.

526.

C’est pour le Concours Cassado de Florence 1974 que Salvatore SCIARRINO compose Two Studies (1974).

527.

Nous reviendrons un peu plus loin sur les œuvres composées pour les différentes sessions de ce concours.

528.

Commentaire du compositeur dans le livret du CD Accord 205272, p.3.

529.

Propos du compositeur interrogé par nous-même à l’occasion d’un concert au CNSM de Lyon où était interprétée une de ses œuvres.

530.

PAPE, Winfried, “ Bemerkungen zum heutigen Violoncellspiel - Ein Gespräch mit Siegfried Palm ”, Musik und Bildung Vol. VII / 6, juin 1975, p.298 : “ Es gibt eben Stücke in der Literatur, die sind zunächst untrennbar mit einem Interpreten verbunden. Aber die Zeit wird hier das Ihrige schon tun. ”