a - Siegfried PALM

Nous avons évoqué à plusieurs reprises au cours de notre travail le nom de Siegfried PALM, l’un des premiers violoncellistes défenseurs de la musique d’avant-garde des années soixante. Né en 1927, ce violoncelliste allemand, d’abord formé par son propre père puis par le virtuose italien Enrico MAINARDI, appartient aussi à la génération des compositeurs du courant de Darmstadt. Par cette contemporanéité, il s’est donc trouvé confronté très tôt à la complexité des nouveaux langages et aux innovations permanentes de leurs auteurs. S’il n’a pas, à proprement parler, eu lui-même l’initiative de nouvelles techniques instrumentales, il a surtout eu la volonté de trouver des solutions pour la réalisation des problèmes contenus dans les œuvres de son temps. Le violoncelliste explique, dans un entretien avec Rudolf LÜCK, comment il a été, dès le début de sa carrière, stimulé par une volonté de vaincre les difficultés techniques que tous ses collègues jugeaient insurmontables 531 , et le compositeur Bernd Alois ZIMMERMANN raconte en particulier, à propos de son Canto di speranza (1952-57), comment Siegfried PALM fut le premier à repousser les limites jusqu’alors admises dans le registre aigu. 532 C’est ainsi qu’il écrira ensuite spécialement pour le violoncelliste sa Sonate für Cello-solo(1960) dont le dernier mouvement, Versetto, exploite d’ailleurs aussi ce registre particulièrement aigu.

Concernant les nouvelles techniques contenues dans les partitions que lui soumettaient les compositeurs, Siegfried PALM explique lui-même en détail, dans l’entretien déjà cité avec Rudolf LÜCK, comment il est parvenu à travers ses propres expériences instrumentales à en affiner la réalisation, allant d’ailleurs parfois bien au-delà des idées émises initialement par le compositeur. Il précise en particulier les subtilités de timbre qu’il a cherché à obtenir sur certains modes de jeu comme la percussion avec la paume de la main sur la touche (apparue pour la première fois dans le second mouvement du Premier Concerto pour violoncelle de PENDERECKI, et que l’on retrouve dans son Capriccio per Siegfried Palm, 1968) 533 ou la percussion du bout des doigts sur la caisse, elle aussi utilisée dans le Capriccio de PENDERECKI. 534 Pour d’autres techniques comme la percussion des doigts sur les cordes (ce mode de jeu apparaît déjà dans la Sonate de ZIMMERMANN) 535 ou le “ demi-flageolet ” (utilisé par KAGEL dans Match pour 3 joueurs-2 violoncellistes et un percussionniste-, 1964) 536 , PALM a été le premier violoncelliste à les mettre en pratique et donc à élaborer une démarche d’apprentissage pour permettre qu’elles soient assimilées au même titre que les techniques traditionnelles. Tous ces modes de jeu se sont ensuite largement répandus dans la littérature pour violoncelle et sont bien sûr actuellement pratiqués couramment par les violoncellistes des générations qui ont suivi, mais il est certain que Siegfried PALM a joué dans ce domaine un véritable rôle de pionnier.

Les qualités, non seulement de virtuosité ou de technicité, mais surtout d’ouverture d’esprit de ce violoncelliste ont bien entendu séduit de nombreux compositeurs. Dès le début des années 60, il joue un rôle de tout premier plan dans la création d’œuvres pour violoncelle 537 et après la Sonate für Cello-solo de Bernd Aloïs ZIMMERMANN écrite à son intention, il sera le dédicataire d’œuvres prestigieuses telles Nomos alpha (1965) de Iannis XENAKIS ou Glissées (1970) d’Isang YUN. Certaines de ces œuvres incluent d’ailleurs son nom dans leur titre même, comme Siegfriedp’ de Mauricio KAGEL, Capriccio per Siegfried Palm de Krzysztof PENDERECKI, ou encore Mini-music to siegfried palm op.38 de Hans Ulrich ENGELMANN, signalant ainsi l’étroite relation qu’elles entretiennent avec l’interprète qui les a suscitées puis créées.

Des compositeurs de toutes nationalités ont été fascinés par le jeu de ce violoncelliste et ont écrit pour lui, entre autres, une pièce destinée au violoncelle seul : l’allemand Klaus OBERMAYER (Drei Bagatellen, 1984), le suédois Sven-Erik BÄCK (Ricercare per Siegfried Palm, 1983), les italiens Renato de GRANDIS (Serenata II, 1970) et Fernando GRILLO (Etolie, 1976), le hongrois Laszlo KALMAR (Monologo 4, 1975), le japonais Hifumi SHIMOYAMA (Ceremony, 1969), le coréen Isang YUN (Glissées, 1970), l’israélien Abraham DAUS (The twelfth Sonnet, after Rilke, 1968-69), le suisse Franz FURRER-MÜNCH (Musik für Violoncello, 1970). Mais l’intérêt très vif de cet interprète pour la musique de notre temps ne l’a pas pour autant limité à l’interprétation de ce répertoire, et son éclectisme musical lui a permis d’aborder, outre le répertoire du passé, des œuvres de notre époque appartenant à toutes tendances, y compris les moins avant-gardistes. 538

Il faut enfin encore souligner ici le rôle pédagogique important que PALM a pu exercer non seulement à travers un enseignement régulier à la Musikhochschule de Cologne dès 1962, mais aussi dans le cadre de cours internationaux donnés chaque année à Darmstadt et spécialement orientés vers la nouvelle musique, ou encore à l’occasion de master-class données dans le monde entier. Il a su faire bénéficier de sa propre expérience les plus jeunes générations et ainsi faire progresser considérablement l’assimilation de ces nouvelles techniques. Rappelons aussi que dans le cadre de cette activité pédagogique, Siegfried PALM est à l’origine d’une commande, auprès de douze compositeurs, de pièces pour violoncelle solo, afin de constituer un recueil d’études destinées à faciliter l’accès à la nouvelle musique pour violoncelle. 539

C’est une place bien différente qu’occupe le violoncelliste russe Mstislav ROSTROPOVITCH dont l’influence ne s’est pas exercée sur l’élargissement des techniques, mais a été cependant considérable sur le développement du répertoire pour violoncelle en général, et pour violoncelle seul en particulier.

Notes
531.

LÜCK, Rudolf, Werkstattgespräche mit Interpreten Neuer Musik, Köln, Musikverlage Hans Gerig, 1971, p.82, à propos de la création du Concerto pour violoncelle de Winfried ZILLIG, le 7-12-52, qui fut sa première participation en tant que soliste à la création d’une œuvre contemporaine : “ Ich betrachtete es nun als eine Art Sport, das herauszubekommen, was andere, wesentlich prominentere Cellisten für unspielbar hielten, und ich muss sagen, dass es dann recht gut ging. ”

[Je considérais alors comme une sorte de sport de parvenir à ce que d’autres, particulièrement les violoncellistes les plus éminents, tenaient pour injouable, et je dois dire que cela s’est alors bien passé.]

532.

ZIMMERMANN, Bernd Alois, “ De la signification nouvelle du violoncelle dans la nouvelle musique ”, op. cit., p.66 : “ Ainsi certaines mesures de ma cantate pour violoncelle Canto di speranza furent longtemps réputées injouables, car on ne connaissait pas alors le moyen permettant d’atteindre le registre inhabituellement élevé qui est demandé à l’instrument soliste dans cette œuvre.

L’édition Schott envoya à cette époque la partition de l’œuvre aux cinq violoncellistes les plus renommés, qui tous furent d’accord pour affirmer qu’en considération de l’état actuel du développement des possibilités techniques du violoncelle, ce registre aigu était, entre autres, inaccessible. Siegfried Palm fut le premier à découvrir des moyens permettant l’emploi de ce registre. ”

Siegfried PALM relate de son côté cette expérience, in LÜCK, Rudolf, Werkstattgespräche mit Interpreten Neuer Musik, op. cit., p. 82 : “ Einige Jahre später [...] schickte mir Bernd Aloïs Zimmermann seinen Canto di speranza mit der Frage, ob ich das Werk spielen möchte. Auch diesee Stück galt als unaufführbar. Das Werk gefiel mir seht gut, obwohldie technischen Anforderungen noch weit über das hinausgingen, was dem Cellisten bei Zillig abverlangt wurde ; bei Zimmermann handelte es sich um ungewöhnliche, bisher nicht verwandte Möglichkeiten, z. B. was das Spiele cantabler Linien in grosser Höhe anging. Das hatte es bis dahin wrklich noch nicht gegeben ! [...] (In der Folge entstand dann 1960 das Stück, das überhaupt die ganze Cello-Literatur revolutioniert hat, nämlich Zimmermanns Solo-Sonate für Cello, die er auch für mich geschrieben hat.)”

[Quelques années plus tard B.A. Zimmermann m’a envoyé son Canto di speranza en me demandant si je voulais jouer l’œuvre. Cette pièce était aussi considérée comme injouable. L’œuvre me plut beaucoup, bien que les exigences techniques dépassent encore de loin ce que Zillig avait exigé du violoncelliste ; avec Zimmermann, il s’agissait de possibilités inhabituelles et jusque là non utilisées, comme par exemple le jeu cantabile d’une ligne dans le registre très aigu. Cela n’avait encore vraiment pas été fait jusque là. [...] A la suite de cela naquit en 1960 la pièce qui a révolutionné de manière générale toute la littérature pour violoncelle, c’est-à-dire la Sonate pour violoncelle solo de Zimmermann, qu’il a aussi écrite pour moi.]

533.

LÜCK, Rudolf, ibid., p.86 : “ Zum Beispiel das Schlagen mit den flachen Hand auf das Griffbrett [...] darf nicht nur ein primitiver Schlag sein, sondern er muss in die Struktur des musikalischen Geschehens einbezogen werden. Man kann die vier Saiten schwingen lassen, aber der Schlag klingt total verschieden, je nachdem, ob ich in die Nähe des Sattels setzte oder ans Ende des Griffbretts. ”

[Par exemple la percussion avec la paume de la main sur la touche ne doit pas être seulement une frappe primitive, mais elle doit être comprise dans la structure du phénomène musical. On peut laisser vibrer les quatre cordes, mais la percussion sonne totalement différemment, selon le cas, si je le fais à proximité du sillet ou au bout de la touche.]

534.

LÜCK, Rudolf, ibid., p.87 : “ Zu erwähnen ist noch das Klopfen mit der Fingerkuppe auf den Korpus. Penderecki hat eigentlich nur vorgeschrieben : Klopfen mit der Fingerkuppe. Ich habe das ausprobiert und gefunden : je nachdem, ob man das in der Nähe der Zargen oder der F-Löcher bewerkstelligt, kommt eine ganz verschiedenartige Klangfärbung heraus. ”

[Il faut encore mentionner la percussion du bout des doigts sur la caisse. Penderecki a, à vrai dire, seulement écrit : frapper avec le bout des doigts. J’ai essayé et j’ai découvert : selon qu’on l’exécute près des éclisses ou des ouïes, il en sort un timbre tout à fait différent.]

535.

PALM signale simplement à ce propos que cela sonne mieux sur le violoncelle que sur le violon en raison de la longueur des cordes : “ Was z. B. neu auf dem Cello ist (und das ist auf der Geige nur sehr schwer ausführbar), ist das Klopfen mit den Fingern auf die Saiten. Das ergibt auf dem Cello - bedingt durch die langen Saiten - einfach einen schöneren Klang als auf dem viel kürzeren Geigensaiten. ”

[Ce qui est nouveau par exemple sur le violoncelle (et très difficilement réalisable sur le violon), c’est la percussion des doigts sur les cordes. Cela donne sur le violoncelle - en raison de la longueur des cordes - tout simplement un plus beau son que sur les cordes beaucoup plus courtes du violon.]

536.

LÜCK, Rudolf, op.cit., p.86 : “ Ich möchte dann die Erweiterung des Flageolett-Spiels erwähnen, nämlich auf den Tönen, die an und für sich kein Naturflageolett haben. Dann das sogenannte ‘’Halbflageolett’’, also nur das halbe Herunterdrücken der Saiten, was etwa die Mitte zwischen gerade berühren und festem Herunterdrücken bildet. ”

[Je voudrais aussi mentionner l’élargissement du jeu en harmoniques, c’est-à-dire sur les sons qui ne sont pas en soi des harmoniques naturels. Ainsi le dénommé ‘’demi-flageolet’’ où la corde est seulement pressée à moitié, ce qui donne quelque chose entre le tout juste effleuré et la ferme pression.]

537.

En 1975, dans l’entretien avec Winfried PAPE déjà cité, PALM relevait à peu près trente noms de compositeurs contemporains ayant écrit une œuvre pour lui, tous genres confondus. Il citait en particulier ZIMMERMANN, PENDERECKI, LIGETI, KAGEL, YUN, KELEMEN, HALFFTER, BLACHER, XENAKIS, BECKER, ENGELMANN, WITTINGER.

538.

Cf. Entretien avec LÜCK, Rudolf, op. cit., p.83 : “ Ich gehe dabei nicht danach, welcher Stilgruppe (um das harte Wort ‘’Clique’’ zu vermeiden) ein Werk angehört. Sie Wissen, ich spiele fast gleichzeitig ein Werk von Mauricio Kagel und Milko Kelemen, und ein paar Tage später Blachers Cellokonzert. Das mag wie ein Anachronismus wirken, aber : beides gefällt mir. ”

[Je ne vais pas chercher à quel groupe stylistique (pour éviter le vilain mot de ‘’clique’’) une œuvre appartient. Vous savez, je joue presqu’en même temps une œuvre de M. Kagel et de M. Kelemen, et quelques jours plus tard le Concerto pour violoncelle de Blacher. Cela peut passer pour un anachronisme, mais, les deux me plaisent.]

539.

Ce recueil, édité par Breitkopf & Härtel en 1985, et intitulé Studien zum Spielen Neuer Musik, a été évoqué dans notre Première Partie, Chapitre III.