e - Autres violoncellistes

En dehors des personnalités que nous venons d’évoquer, beaucoup d’autres violoncellistes ont bien sûr aussi contribué dans une certaine mesure à la constitution de ce répertoire. On constatera encore, à la lecture de notre Annexe n°10, que chaque pays possède au moins un interprète dévoué à la défense de la musique de ses compatriotes et contemporains. En Angleterre, ce sont Timothy HUGH, Steven ISSERLIS et Julian LLOYD WEBBER ; en Allemagne, Heinrich SCHIFF, Werner TAUBE, Walter GRIMMER et Lucas FELS ; en Finlande, Anssi KARTTUNEN 561 (et, dans une moindre mesure, Arto NORAS et Erkki RAUTIO) ; en Suède Torleif THEDEEN, en Hongrie Lazlo MEZÖ et Miklos PERENYI, en Italie Luigi LANZILLOTTA, et au Japon Tsuyoshi TSUTSUMI.

Barbara MARCINKOVSKA s’est aussi beaucoup dévouée à la cause des compositeurs polonais (son pays d’origine), en particulier Piotr MOSS et Alina PIECHOWSKA, mais, installée en France depuis 1977, elle crée aussi fréquemment des œuvres de compositeurs français (Cadence d’Amaury Du CLOSEL, Epiphanie de Régis CAMPO).

Concernant la France, il faut surtout souligner le rôle très important joué par Alain MEUNIER dans le cadre de la création de ce répertoire. Il a été très souvent sollicité par les compositeurs français (ou vivant en France), tout particulièrement dans les années 70-80, et, parmi eux, Marc MONNET a écrit pour lui pas moins de quatre pièces pour violoncelle seul. 562

Il faut par ailleurs aussi faire une place toute particulière au violoncelliste français Jacques WIEDERKER, qui, né en 1927, appartient à la génération que l’on pourrait qualifier “ d’avant-garde ”, et qui a véritablement consacré sa carrière à la musique de son temps, que ce soit dans des formations de chambre ou en soliste, assurant des créations aussi prestigieuses que celle de Nomos alpha à Paris en 1967 563 , ainsi que d’autres pièces pour violoncelle seul composées spécialement à son intention comme Procès d’Alina PIECHOWSKA ou Eclisses de Serge KAUFMANN. Mais, comme Siegfried PALM, il eu aussi à cœur de mettre sa grande expérience du répertoire contemporain au service, non seulement de ses propres élèves, mais aussi de tous les jeunes violoncellistes. C’est ainsi qu’il a conçu un ouvrage, intitulé Le violoncelle contemporain 564 , dans lequel il définit les différents modes de jeu propres à ce nouveau répertoire, en présente les origines, donne des conseils pour leur réalisation technique et illustre leur emploi dans la musique du XXème siècle par de nombreux exemples issus aussi bien d'œuvres pour violoncelle et piano, violoncelle et orchestre, formations de chambre ou même d'œuvres orchestrales, mais parmi lesquels une part importante est faite aux œuvres pour violoncelle seul (44). 565 Ces exemples lui permettent de présenter un grand nombre de signes et symboles utilisés par les différents compositeurs, ainsi que certaines subtilités pouvant exister entre chacun d'eux. Par ailleurs, dans un souci réellement pédagogique, l'auteur a complété chaque chapitre par une courte composition de sa main qui réutilise les différentes notations et peut être travaillée comme une étude. L’ouvrage associe donc ainsi aspect théorique et aspect pratique, et se révèle, par sa présentation très claire et méthodique, pouvoir être aussi utile aux interprètes qu’aux compositeurs qui n’auraient pas encore acquis une connaissance suffisante des possibilités de l’instrument.

Parmi la pléiade d’interprètes de grand talent qui a contribué à l’essor de ce répertoire, il convient de citer encore Rohan de SARAM, violoncelliste du Quatuor américain Arditti, spécialisé dans la création de quatuors de compositeurs contemporains. Très ouvert à toutes sortes d’expériences, il a en particulier collaboré à la réalisation d’une œuvre micro-tonale très audacieuse de Henri POUSSEUR, Racine dix-neuvième de huit quarts (1976) écrite spécialement pour lui. 566 Il affectionne aussi particulièrement le répertoire qui fait appel aux ressources électro-acoustiques et a ainsi commandé et créé plusieurs œuvres de ce type dont Méditation pour violoncelle et bande magnétique quadraphonique (1976) de Jonathan HARVEY et Echo II for cello and digital tape delay (1979) de Roger SMALLEY.

Il faudrait enfin encore mentionner ici le rôle de quelques violoncellistes, eux-mêmes compositeurs de pièces pour leur instrument en solo, dont ils ont bien entendu toujours été les créateurs : les suédois Christer BRANDSTRÖM 567 et Peter SCHUBACK 568 , et le yougoslave Rudolf MATZ. 569 Mais, de manière générale, leurs compositions sont restées assez confidentielles et ont rarement passé les frontières de leur pays d’origine ou de domicile.

En conclusion de ce chapitre, il nous faut encore insister sur l’énorme responsabilité portée par l’interprète dans la réussite d’une pièce pour violoncelle solo qu’il a la charge de créer. Cette responsabilité, et son corollaire, c’est-à-dire l’absence de référence ou de point de comparaison constitue d’ailleurs pour certains interprètes un véritable stimulant qui peut les inciter véritablement à se spécialiser dans l’interprétation de ce répertoire. Comme le soulignait Siegfried PALM, de manière générale, à propos de toute création d’œuvre contemporaine : “ ‘D’après mes expériences, en règle générale, une exécution malheureuse d’une nouvelle œuvre pèse sur l’œuvre elle-même et non pas sur l’interprète.’ ” 570 Cette remarque nous semble concerner encore plus particulièrement le répertoire pour instrument seul tel que le nôtre et c’est la raison pour laquelle la relation qui s’établit alors entre le compositeur et l’interprète peut être capitale pour la réussite de cette création.

Notes
561.

Au sujet de sa relation avec les compositeurs de son pays, on peut citer ses propos dans le livret du CD Finlandia 4509-95767-2, p.13-14 : “ Les trois compositeurs finlandais K. SAARIAHO, E-P. SALONEN et M. LINDBERG ont tous trois étudié à la même période à l'Académie Sibelius à Helsinki (alors que j'y faisais moi-même mes études) et étaient liés au groupe de compositeurs Korvat Auki (Oreilles Ouvertes). Cependant, leur musique révèle bien peu de signes de cette étroite amitié. Chacun a développé un style très personnel et s'est forgé une solide notoriété dans la création contemporaine internationale. Cependant, ils ont en commun le rapport très spécial qu'ils entretiennent avec le violoncelle. Notre collaboration y a peut-être été pour quelque chose, et eut pour résultat ensuite un enrichissement du répertoire pour cet instrument. Ils ont implanté en moi l'intérêt pour la musique de notre temps, ce qui m'a mené à découvrir des compositeurs et des œuvres dont beaucoup ne suspectent même pas l'existence. Je suis très honoré de ce que ces trois morceaux aient été écrits pour moi et m'aient été dédiés. [...]

Après avoir complété cet enregistrement, je ne peux qu'être émerveillé par l'ampleur des différents mondes qu'un instrument comme le violoncelle peut offrir aux grands compositeurs. Je suis convaincu que la plupart des autres instruments ont encore tout autant à offrir mais n'ont peut-être pas pu bénéficier du rapport spécial entre compositeurs et instrumentistes qui s'est établi autour du violoncelle au cours des dernières années. ” (traduction Muriel von Braun)

562.

Fantasia semplice (1980), Chant (1984), Terzo (1987), De quelque chose qui pourrait être autre chose sans savoir vraiment s’il s’agit de la chose elle-même... (1989).

563.

C’est Pierre PENASSOU qui avait donné une première création de cette œuvre le 3-08-66 aux Nuits de la Fondation Maeght, à Saint Paul de Vence.

564.

WIEDERKER, Jacques, Le violoncelle contemporain, Sainte-Geneviève-des-Bois, Ed. musicales L'Oiseau d'Or, 1993. L’ouvrage esr rédigé simultanément en français et en anglais.

Le début de son “ Prologue ” en annonce d’emblée les objectifs spécifiques : “ Cet ouvrage a l’ambition de compléter les méthodes traditionnelles d’enseignement des instruments à cordes pour tous ceux qui s’intéressent à la musique de notre temps et cherchent, comme moi-même, à la divulguer. ” L'auteur y manifeste son souci de transmettre un héritage, qu’il a lui-même acquis au travers des échanges avec les compositeurs dont il a joué les œuvres, et souhaite le fixer par l’écrit en le complétant par sa propre réflexion et son expérience d’instrumentiste. Il insiste donc sur la particularité de ce répertoire pour lequel l’absence de tradition d’interprétation nécessite une connaissance, une compréhension et un respect très scrupuleux des signes et des indications contenus dans les partitions. En conclusion, l’auteur s’attache en outre à détruire cette idée faussement reçue, mais qui imprègne encore largement les mentalités très conservatrices de cette fin de siècle, et qui prétend que l’exécution du répertoire contemporain nuit à la technique traditionnelle et à l’interprétation des œuvres du passé. Il défend bien au contraire les vertus bénéfiques d’une telle ouverture qui “ incite à reconsidérer les œuvres antérieures d’un oeil nouveau, à les concevoir avec un esprit débarrassé des ‘’traditions’’ (quelquefois bien encombrantes et trahies !) et permet d’élargir les possibilités de nos instruments [...]. ”

565.

Toutes les œuvres citées sont signalées dans un index en fin d’ouvrage avec les références d’éditeurs.

566.

Rappelons que cette œuvre s’appuie sur un tempérament qui divise l’octave en dix-neuf parties égales. Voir en Annexe n°3 la dédicace pleine d’humour que le compositeur a fait figurer en tête du manuscrit .

567.

Né en 1951. Il est l’auteur de 6 Suites op.13, 15, 18, 20, 21, 26entre 1979-80, et d’une Sonata Solitude op.31 en 1982.

568.

Né en 1947. HOMUTH, Donald, op. cit., p.84-85, ne relève pas moins de 17 courtes pièces pour violoncelle solo composées entre 1974 et 1991. A l’exception de l’une d’entre elles, elles ont toutes été créées par l’auteur.

569.

Né en 1901 et mort en 1988. Ses œuvres pour le violoncelle seul sont les suivantes : 11 Caprices (1964) et une Ciaccona, 2 Suites : “ Alte Formen im neuen Gewande ” (1971) et “ Lights and Shadows ” (1972), ainsi qu’un Tema con Variazioni (1976).

570.

PAPE, Winfried, op. cit., p.298 : “ Nach meinen Erfahrungen wird im Regelfall eine nicht geglückte Aufführung eines neuen Stückes dem Stück selbst und nicht dem Interpreten angelastet. ”